D’un siècle à l’autre

1790 et 1880Gonzalve de Cordoue et son muletier — La Fête des drapeaux et la fête de la Fédération — Hubertine Auclert — Une réclamation de TalmaMichelet et son tombeau — Le quartier MonceauNotes

Cette Vie à Paris est parue dans Le Temps du quinze juin 1880. Elle est publiée ici le quatorze avril 2025. Temps de lecture : 27 minutes.

Daté du trente juin, dans l’édition Havard, un texte commence par les trois mêmes paragraphes et traite aussi, en quelques phrases, de cette fameuse fête des drapeaux. Passé ces trois premiers paragraphes, tout le reste du texte est autre. Cet autre texte sera donc publié ici lundi en quinze, le 28 avril 2025.

1790 et 1880

Comme très souvent, la liste ci-dessus des sujets évoqués dans le texte de Jules Claretie a été très réduite. Bien sûr sans que le texte lui-même ait été diminué en quoi que ce soit. Simplement parce que cette liste, pas forcément de la main de Jules Claretie et peut-être juste là pour faire riche, est bien trop conséquente et même pas forcément dans l’ordre. Ce remaniement a ainsi permis que le titre « Hubertine Auclert », absent de la première liste, ait pu être ajouté, même ne concernant que quelques lignes.

On a eu bien raison de dire que l’histoire est un perpétuel recommencement. La fête du 14 juillet préoccupe autant les esprits, à quatre-vingt-dix ans de distance, fait échanger autant de propos et verser autant d’encre qu’au 15 juin 1790(1) le pouvait faire la première célébration du 14 juillet2, la cérémonie de la Fédération3.

Édouard Detaille (1848-1912), La distribution de ses nouveaux drapeaux et étendards à l’armée française sur l’hippodrome de Longchamp, le 14 juillet 1880, grande toile de près de trois mètres sur cinq, musée d’Orsay, visible au musée de l’armée

Nous serons, si cela continue, blasés avant de les avoir éprouvées, sur les émotions patriotiques de la future distribution des drapeaux. Non seulement on en donne le programme à venir, mais d’avance on en décrit toutes les splendeurs. La tribune où se tiendront les représentants des pouvoirs exécutif et législatif sera, dit-on, élevée en face de la tribune actuelle des courses et formée d’une grande tente aux couleurs tricolores, soutenue de faisceaux d’armes et surmontée de trophées militaires, sabres, cuirasses et baïonnettes. Pour peu que le soleil brille sur ces tas d’acier et en fasse jaillir des éclairs, le spectacle ne manquera point de grandeur et ce flamboiement ressemblera aux rayons d’une aurore.

On a bien fait de choisir, pour une telle cérémonie, le vaste hippodrome de Longchamp. Ce fut là que, pour la première fois, après la guerre et la Commune, la France revit défiler les lambeaux à peine recousus de son armée. Pauvres diables de soldats aux képis tordus, aux capotes usées et trouées, médiocrement vêtus, tristes encore de la défaite subie, ils marchaient de leur mieux devant les représentants de la patrie. On éprouvait un serrement de cœur à retrouver, comme en débris, avec des uniformes lacérés, ces régiments qui, une année auparavant, eussent défilé dans une tenue correctement martiale. Ceux qui ont assisté à cette première revue de 1871 ne l’oublieront jamais4. C’était la sortie hésitante du malade devenu convalescent. Il y avait là à la fois de la crainte et de la fièvre, et les acclamations qui saluaient ces braves gens ressemblaient aux embrassements qu’on donnerait à un être qu’on a cru mort.

Gonzalve de Cordoue et son muletier

Ce sera, pour les Parisiens, et je dirai pour les Français, une grande fête que cette solennité du 14 juillet. Ce peuple-ci aime les démonstrations publiques. Il court aux lampions et aux banderoles comme les enfants courent à la musique qui passe5. M. Turquet6 a même, pour satisfaire, cet appétit de plaisirs, l’intention de réclamer, après la fête militaire, qu’on prépare une fête civique. Il s’agirait de transporter au Panthéon, rendu à sa destination nationale, les cendres de nos grands hommes que possèdent les villes de province ou de l’étranger. On amènerait, par exemple, de Bordeaux, Montesquieu, en grande pompe ; à Meaux, on réclamerait les ossements de Bossuet, et on irait chercher au cimetière de Bruxelles le cercueil du peintre David7.

C’est un projet qui a été exécuté en Espagne avant qu’on n’eût l’idée de le mettre en pratique en France, et les Portugais ne viennent-ils point de transporter à Lisbonne les restes de Vasco de Gama ? Madrid réclama, il y a dix ou douze ans, leurs grands hommes aux villes provinciales. Il s’agissait de les honorer en leur donnant un temple commun. Je ne crois pas que Burgos ait consenti à livrer son Cid à la capitale, mais Saragosse, la patrie de Juan de Lanuza, le fameux comunero aragonais, voulut bien donner à Madrid le corps de ses trois justices, décapités par ordre de Philippe II, à la condition qu’elle en conservât les têtes.

Il arriva même, à cette époque, une aventure assez singulière à un de nos amis. Il avait pris, à Grenade, une voiture dont le muletier allait d’un pas déplorablement modéré, lentement, comme un cheval de fiacre étique. Mon ami ; fort pressé, s’en plaignait :

— Vous ne pouvez donc pas marcher plus vite ?
— Non, señor. Impossible, répondit, très calme, le muletier.
— Pourquoi impossible ? Vos mules sont-elles donc poussives ?

L’autre, toujours digne, haussait les épaules avec ce dédaigneux froncement de lèvres des Andalous et des Castillans :

— Ce n’est, pas cela, señor, mais nous ne pouvons pas aller vite, à cause de Gonzalve de Cordoue8 qu’il ne faut pas abîmer en chemin !
— Gonzalve de Cordoue ?
— Oui, señor !

Gonzalve de Cordoue ! Et, que diable pouvait avoir à faire avec un muletier andalou ce héros d’épopée, cher au chevalier de Florian9, félibre inattendu ? Pourquoi Gonzalve, que les gravures du siècle passé nous représentent avec le casque empenné et la jupe de soie d’un troubadour de pendule, empêchait-il l’équipage de marcher et mon ami d’achever sa tournée en Espagne aussitôt qu’il l’eût voulu ?

Ç’est que, bien, réellement, Gonzalve était du voyage. On transportait son cercueil à Madrid, et là-haut dans une caisse où elle dormait depuis des siècles, sa dépouille mortelle s’acheminait à petits pas vers le Panthéon madrilène. Et quelles précautions pour ne point gâter cette relique ! Le trot l’eût endommagée, le galop eût réduit ses cendres en poussière ou sa poussière en cendres. Alors lentement fumant son papelito, ne parlant que tout bas à la capitana, le muletier conduisait « d’un pas tranquille et doux », à travers les chemins criblés de soleil, le pauvre et fier Gonzalve de Cordoue.

Je me suis toujours, dit qu’un tel épisode eût fourni le plus délicieux — et le plus incroyable — des chapitres à ce conteur exquis, d’Impressions de voyage10, Alexandre Dumas, que Paris pourrait, bien réclamer aussi au petit cimetière de Villers-Cotterêts, où nous le transportâmes, il y a huit ans, par un jour de mai.

La Fête des drapeaux et la fête de la Fédération

Montesquieu, du moins, n’aurait pas à craindre l’aventure de Gonzalve de Cordoue. Il nous arriverait par le chemin-de fer. Mais nous n’en sommes pas encore à un tel voyage : il ne s’agit, pour le moment, que de la Fête des Drapeaux

J’ai dit qu’elle est, à près d’un siècle de distance, quelque chose comme cette Fête de la Fédération où, pour la première fois, on célébra le 14 juillet. Quoi qu’on fasse, il manquera à la journée du mois prochain ce parfum de printemps et d’espérance, cette griserie de renouveau qui montait aux cerveaux, à cette heure confiante qui fut comme la lune de miel de la Révolution. Je viens d’ouvrir les journaux de cette fin de siècle, et j’y retrouve exactement, au mois et aux jours où nous sommes, quelque chose comme une fièvre heureuse. Il semble qu’il n’y eût alors ni haines ni colères dans une nation destinée à tant d’épreuves, durant les quatre-vingt-dix années qui allaient suivre.

On sourit, on a fa foi, on acclame, le roi qui passe, et le roi salue le peuple qui naît. Mme Dubarry11, en traînant de ses jolies mains potelées la brouette d’un terrassier, rencontre, dit-on, un blond jeune homme très beau qui lui prend la brouette en disant : « Pardon, Madame ! » C’est Saint-Just. Il rime encore peut-être des vers et l’auteur d’Organt12 sourit à la maîtresse de Louis XV, engraissée de toutes les façons et haute en couleur.

À l’Assemblée, un soldat-citoyen, M. Auguste, « artiste », demande qu’il lui soit permis d’employer le métal des cloches pour en faire le buste du roi qu’il propose de placer, sur l’autel de la patrie le jour du 14 juillet. — Et Gourdan13, lieutenant criminel, député de Franche-Comté répond : « Louis XVI est dans nos cœurs, c’est assez ! laissez ces flatteuses propositions aux courtisans ! » — tandis que le marquis de Vaudreuil14, lieutenant-général des armées navales s’écrie : « On ne doit ériger de statues aux rois qu’après leur mort ! »

Ah ! le curieux moment d’élan et de croyance ! Le même jour, les religieuses du couvent de Sainte-Ursule, de Briançon, envoient à l’Assemblée nationale l’inventaire de leur couvent et désireraient, disent-elles, pouvoir y joindre des trésors pour les donner à la patrie.

On ne parle alors que de la Fête de la Fédération comme on ne parle guère aujourd’hui que de la Fête des Drapeaux.

Et — éternelles reprises des mêmes comédies et des mêmes drames sur ce théâtre de l’histoire où tant d’acteurs se font applaudir et siffler — les mêmes questions se posent, les mêmes discussions s’agitent. La question du serment, par exemple, et la question moins grave du lieu où se célébrera la fête.

On croirait parfois, en feuilletant ces pages poudreuses, lire des gazettes de ce matin.

Les préoccupations identiques aux nôtres agitent nos grands-pères.

Discussions partout et à propos de tout.

Discussion pour fixer l’emplacement de la fête. Nous avons hésité entre Longchamp et Vincennes. Ils hésitent aussi. Aura-t-elle lieu, cette fête, dans la plaine Saint-Denis, dans la plaine de Grenelle ou dans celle des Sablons ? La plaine Saint-Denis est cultivée. Il faudrait détruire le blé qui y mûrit. Aujourd’hui, les usines y fument. On ne songe plus à la plaine Saint-Denis. La plaine des Sablons rappelle les revues autrefois passées par la royauté. Le Champ de Mars sonne mieux aux oreilles françaises ; on adopte le Champ de Mars.

Et comment seront placés le roi et le président de l’Assemblée ? Le roi au milieu, le président à sa gauche. Et la reine ? Oh ! que personne, pas même la reine, ne sépare du roi le président de l’Assemblée, le représentant de la nation. Cazalès15 s’indigne de ces prétentions. Mais le roi s’incline.

Et quel serment prêtera-t-il ? Car si on lui prête serment de fidélité, il faut qu’à son tour il fasse de même.

Les gardes nationales et autres troupes venues à Paris s’exprimeront ainsi :

« Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi ;
« De maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi ;
« De protéger, conformément aux lois, la sûreté des personnes et des propriétés, la libre circulation des grains et subsistances dans l’intérieur du royaume et la perception des contributions publiques sous quelque forme qu’elles existent ;
« De demeurer unis à tous les Français, par les liens indissolubles de la fraternité. »

Quant au roi, le comité nommé par l’Assemblée est d’avis qu’il dise :

— Moi, premier citoyen !

Et Barnave16 propose que Louis XVI dise simplement :

— Moi, roi des Français !

Nos officiers, les officiers de cavalerie surtout, sont, paraît-il, à l’heure qu’il est assez inquiets du serment qu’on leur va demander peut-être dans un mois. Ils s’en préoccupent quatre semaines avant le 14 juillet. En 90, on s’en inquiétait un mois à l’avance.

C’est l’évêque d’Autun qui, le premier, à l’Assemblée nationale, parle de cette « fête qu’on ne saurait faire avec trop de solennité » et propose un décret relatif à la fédération. Il doit s’inquiéter peu du serment. C’est lui, c’est Talleyrand, prince de Bénévent, qui plus tard, en prêtant serment de fidélité à Louis-Philippe, lui dira en riant :

— Eh ! sire, c’est le treizième17 !

M. de Noailles, dès que l’évêque d’Autun a déposé son rapport, demande et fait voter que chaque régiment d’infanterie députe un officier, présent, au corps, le plus ancien de service, un bas officier, le plus ancien, les années de soldat comptées ; les quatre plus anciens soldats, pris indistinctement parmi les caporaux, grenadiers, chasseurs, fusiliers ou tambours. La cavalerie fera de même.

— Je demande, interrompt le marquis de Foucault, si les cavaliers dragons et hussards viendront à Paris à pied ou à cheval ?

Le régiment du Roi et celui des Gardes-Suisses enverront une députation double de celle fixée pour les régiments ordinaires. Le corps royal du génie députera le plus ancien officier de chaque grade. La maréchaussée est représentée par les quatre plus anciens officiers, les quatre plus anciens bas-officiers et les douze plus anciens cavaliers du royaume. Tous les corps, les bataillons des chasseurs à pied, les ouvriers d’artillerie, les mineurs, les commissaires de guerre, les compagnies de la maison militaire du roi ; de celles des frères de Sa Majesté sont représentés par leurs vétérans. Les maréchaux auront pour représentant le plus ancien maréchal de France, et vingt officiers ou soldats représentent les invalides « vieux militaires qui ont bien mérité de la patrie ».

Et pour ces soldats qui accourent de tous les coins de la France — comme nos troupiers dans un mois — il n’est point de gracieusetés qu’on ne réclame. Toutes les tribunes publiques de l’Assemblée nationale sont — sur la proposition de Regnault de Saint-Jean-d’Angely18, destinées aux députés extraordinaires de la France armée.

La province a d’ailleurs pris les devants sur Paris. Le serment est déjà prêté. Les départements du Nord, de la Somme et du Pas-de-Calais ont envoyé leurs gardes nationaux et leurs soldats à Lille. M. Delbecq, député de Lille, raconte qu’on a prêté le serment que voici : « Nous citoyens soldats et soldats citoyens, jurons sur l’autel de la patrie, en présence du Dieu des armées et sur nos armes, d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi !… »

Prêter serment ! quelle formule étrange ! Il semble qu’il y ait là l’indication d’une restriction mentale quelconque, et je voudrais bien qu’on trouvât une expression plus austère pour signifier la parole donnée, la foi tenue.

Au reste, il y a quatre-vingt-dix ans, le prêt semblait, en toute conscience, un don éternel. Les étrangers mêmes avaient hâte de saluer la Constitution nouvelle. Une députation, composée d’Anglais, de Prussiens, de Siciliens, de Russes, de Polonais, de Suédois, d’Allemands, d’Italiens, d’Espagnols, de Brabançons, de Liégeois, de Suisses, de Genevois, d’indiens, d’Arabes, de Chaldéens, et — chose qui étonnera — d’Avignonnais, (Avignon et le Comtat Venaissin, n’appartenant pas alors à la France), demande à être introduite devant l’Assemblée.

M. de Menou19, qui présidait ce jour-là, l’annonce, et le baron de Clootz du Val de Grâce20, Prussien, orateur du comité des étrangers, se présente au nom de l’ambassade des nations. Il parle. On l’acclame.

Un Turc prend la parole ; la difficulté avec laquelle il prononce le français ne permet pas au Moniteur21 de retenir son discours. Peu importe. On le couvre de bravos.

Toutes les tribunes éclatent en applaudissements et bien des historiens, qui se sont attendris sur le défilé des faux mamamouchis devant le grand roi, ont raillé cette apparition de l’Europe devant les représentants de la nation française.

Ah ! qu’on ne songeait pas à rire alors ! Les pères et les mères, les aïeules de ceux, qui, par genre, sourient maintenant à ces mots : « les principes de 89 », suivaient avec enthousiasme cette mode nouvelle : la mode de la liberté. Les femmes portaient des robes aux trois-couleurs. Mme de Lafayette, quêtait, avec d’autres grandes dames, à Notre-Dame pour « la délivrance des prisonniers enfermés pour mois de nourrice », pauvres diables qui ne pouvaient payer le lait donné, vendu à leurs enfants, et qu’on enfermait pour dettes.

Tout était alors à la Fédération, comme tout, dans un mois, sera aux drapeaux. Les annonces mêmes, — l’annonce, cet éternel document humain, — font revivre les fièvres, les ardeurs, les impatiences, les curiosités de cet enthousiaste mois de juillet. Je n’en citerai qu’une : le tableau complet d’un tel moment m’entraînerait trop loin :

« Un voyageur aérien, connu par plusieurs expériences aérostatiques, se propose d’en faire une en l’honneur de la Confédération : l’aérostat est d’une nouvelle forme, composé de voiles avec lesquelles il tentera de nouveaux moyens de direction et sur lesquelles sont des portraits chers à la nation : l’aérostat ainsi que ses accessoires sont de soie aux couleurs nationales. Une jeune dame parisienne montera avec l’auteur ! »

Partout c’est la même fièvre, les mêmes espoirs, les mêmes beaux rêves de liberté idyllique. Elle se figure ; la chère et grande France qu’elle entre en un éternel printemps !

Être vainqueur de la Bastille constitue un titre de noblesse à l’heure où l’on abolit les titres, où le comte de Montlosier n’est plus que M. Raynaud22 où le comte de Mirabeau devient Riquetti l’aîné23, l’abbé de Bermont l’abbé Perrotin24 et où M. de Saint-Priest ne s’appelle plus que M. Guignard25.

Camus lit un décret : Il sera fourni à tout vainqueur de la Bastille un « habit uniforme et un armement complet ». Sur le canon du fusil et sur la lame du sabre sera écrit : « Donné par la nation à un vainqueur de la Bastille. » Il sera délivré à chacun d’eux un brevet d’honneur.

Et ce décret, adopté par acclamation, cette récompense civique allait devenir, dix ans après, les sabres d’honneur distribués par le premier consul, et bientôt la Légion d’honneur. La Convention, supprimant ces récompenses matérielles, se contentait de déclarer que tel citoyen, tel corps de troupes, telle armée avait bien mérité de la patrie.

Ainsi, Paris n’a plus qu’une pensée : cette fête qui va venir.

Les populations, il est vrai, n’en attendent pas moins, avec impatience, le prochain tirage de la loterie royale qui devait avoir lieu le 19 du même mois, cinq jours après la grande fête.

Gazette de France du mardi dix juillet 1880, page six

Le duc d’Orléans exempte du droit de péage tous ceux des députés de la France qui auront à traverser les canaux d’Orléans et du Loing. Les marins de la flotte réputés antinationaux, arrivent à Paris portant sur leur cœur un médaillon du roi avec cette inscription : Ses vertus l’ont mis là ! Et le ruban auquel est suspendu ce médaillon a les trois couleurs nationales.

Hubertine Auclert

Une femme, l’Hubertine Auclert26 du temps, mais une Hubertine modérée, Mme Thérèse Q. C., demande pour la femme le droit — oh ! il n’est pas bien exorbitant ! — de joindre « au nom de l’amant devenu mon mari, le nom d’un père vénéré ».

« Lorsqu’un homme est marié, ajoute-t-elle, ne serait-il pas flatteur pour lui, pour ceux auxquels il s’allie, et pour la jeune et timide vierge qu’il prend l’engagement de rendre heureuse, de joindre leurs noms comme ils unissaient autrefois leurs armes et comme ils unissent leurs personnes ? »

Et Mme Thérèse ajoute cette considération d’un intérêt tout pratique :

— Si les hommes portent un double nom, le leur et celui de leur femme, les jeunes filles ne risqueront plus d’être séduites par des faux célibataires qui « se jouent d’une chaîne qu’ils ont bien vite brisée ».

Une réclamation de Talma

Nous venons de rencontrer ; déjà, ai-je dit, une Hubertine Auclert en 1790. Nous retrouverions, à bien prendre, tous les genres de préoccupations qui nous amusent encore — ou qui nous ennuient — aujourd’hui.

Les acteurs aussi — les acteurs qui, avec les peintres, absorbent si complètement l’attention publique à l’heure où nous sommes — font parler d’eux dès ce temps-là, au milieu des événements politiques.

Au début de la séance du 12 juillet, un des secrétaires de l’Assemblée lit une lettre de M. Talma, acteur du Théâtre-Français, qui « implore le secours de la loi constitutionnelle » et réclame « ses droits de citoyen27. »

Il a fait « choix d’une compagne », il s’est présenté devant le curé de Saint-Sulpice pour la publication des bans. Le curé a refusé de le marier.

Pourquoi ?

Parce que Talma est excommunié, étant comédien.

Sommation a été faite au curé de Saint-Sulpice par acte extra-judiciaire. Le curé, celui-là même qui cherchait chicane peu de temps auparavant à Camille Desmoulins, répond que ses supérieurs lui ont rappelé les règles canoniques auxquelles il doit obéir. On ne peut donner à un comédien le sacrement de mariage avant d’avoir obtenu de sa part une renonciation à son état.

— Je me prosterne devant Dieu, écrit Talma, je professe la religion catholique apostolique et romaine. J’aurais pu sans doute faire une renonciation et reprendre le lendemain mon état ; mais je ne veux point me montrer indigne de la religion qu’on invoque contre moi !

Et il réclame la justice de l’Assemblée.

— Mais, s’écrie M. Bouche, l’avocat, député d’Aix, tout le monde sait que plusieurs fois on a marié des comédiens, sous le nom de musiciens !
— De tous les droits de l’homme, fait remarquer le Journal de Paris, le plus absolu est pourtant droit de se marier.

Ah ! que les comédiens ont fait du chemin depuis lors ! Non seulement ils ne sont plus excommuniés ; mais, au besoin, ils excommunieraient les autres. Ils le font volontiers à l’occasion, sans nul remords, et vous jugent Émile Augier et vous soupèsent Dumas fils comme des magisters leurs élèves.

Au reste, ils se rattrapaient alors sur la scène, sur ces planches où ils étaient maîtres. Le théâtre est le grand attrait de ce 14 juillet. Pièces de circonstances, à-propos patriotiques, cantates qui ressemblent déjà aux futures cantates en l’honneur de l’empire ; — Paris est en proie à la musique et aux vers d’actualité, comme il le sera également dans un mois.

Pas une voiture ne doit se montrer dans les rues, pas un carrosse, pas une charrette ne peut rouler dans Paris et dans les environs du Champ de Mars, même pour les déménagements. Mais tous les théâtres sont ouverts, tous, ou presque tous, donnent des à-propos en l’honneur du 14 juillet.

Le Théâtre-Italien28 joue une pièce où l’on voit ; groupés « autour d’un arbre symbolique », le fils d’un noble, M. de Saint-Flore, épousant une « petite paysanne naïve » tandis que le seigneur du village unit lui-même les époux, assurant ainsi « la destruction du préjugé de la naissance et marquant son adhésion aux principes de l’égalité ».

Cela s’appelle le Chêne patriotique29.

Le public, enchanté, demande l’auteur. C’est l’acteur Manuel qui paraît. Dalayrac avait composé la musique.

Au Théâtre du Palais-Royal on donne le Dîner des Patriotes, ou la Fête de la Liberté, par M. Collot d’Herbois, autre comédien.

Au Théâtre de Mlle Montansier (notre théâtre du Palais-Royal actuel), la Fête en petit ou le Dédommagement du cœur.

Les comédiens de la troupe de Beaujolais représentent la Confédération du Parnasse, l’Ambigu-Comique Paris sauvé et la Fête du Grenadier. Le Cirque du Palais-Royal, dans le jardin, promet un drame en musique, un divertissement pastoral et militaire, des danses et marches analogues à la cérémonie de cette journée, un grand bal paré, des guirlandes de fleurs naturelles. Prix d’entrée, 3 livres pour ce jour seulement. Il ne sera point délivré de contremarque.

Et le Waux-Hall d’Été30, renchérissant sur tous, annonce une grande illumination, feu d’artifice et la Prise de la Bastille, « dont le siège sera fait, pour majeure partie, par des gardes françaises et autres personnes ayant contribué à celui du 14 juillet 1789 », — représentation terminée par le Temple de la Liberté, élevé sur les ruines de ce fort.

Est-ce tout ? Non.

Le vaudevilliste Aude31, celui qui inventera plus tard le type de Mme Angot, donne au théâtre de la Nation Momus aux Champs-Élysées ou le Journaliste des ombres32, et la pièce offre pour nous un complet et curieux échantillon des idées du temps.

Momus, exilé des cieux, a voulu rester sur la terre ; mais la Révolution l’a effrayé en France, l’Inquisition l’a révolté en Espagne, l’Esclavage l’a dégoûté en Italie, et il s’est retiré aux Enfers où Rhadamante33 l’a très bien accueilli. Là, il ne vend pas, mais il donne des journaux, et surtout ceux qui contiennent les décrets de l’Assemblée nationale. Il apprend à Fabert34 que tous les citoyens peuvent parvenir aux grades militaires, à Jean-Jacques Rousseau, que l’homme a retrouvé ses droits et sa liberté ; à l’abbé de Saint-Pierre35, qu’on veut faire renaître son projet de paix universelle. Tour à tour paraissent Voltaire, qui loue beaucoup Rousseau, ce qui a semblé fort extraordinaire, dit la Gazette nationale où je trouve ce feuilleton du lundi — ou plutôt du dimanche 18 juillet.

Momus apprend à Lekain36 et à Mlle Lecouvreur37 que la profession de comédien n’est plus exposée au vil préjugé qui pesait sur elle. Puis viennent un paysan du Mont Jura, Calas, et sa famille, le prince Léopold de Brunswick et Benjamin Franklin. C’est une véritable revue de fin d’année que cette olla podrida38 philosophico-patriotique. Le tout est terminé par une fête devant l’Autel de la Liberté dans laquelle Jeanne Darc39 — oui, Jeanne Darc en personne — chante un air qualifié d’aimable.

L’ouvrage paraît d’ailleurs médiocre. Vaut-il mieux que La Prise de la Bastille, hiérodrame tiré des Livres-Saints qu’un compositeur de musique sacrée, M. Désaugiers40, fait exécuter — où ? — dans l’église de Notre-Dame.

Voilà les divertissements de cette journée à laquelle répond, â quatre-vingt-dix ans de distance, le 14 juillet 1880. On parle beaucoup d’amnistie aujourd’hui. Il y eut aussi amnistie, en 90, amnistie pour ces malheureux débiteurs prisonniers dont je parlais tout à l’heure et qui ne pouvaient payer les mois de nourrice de leurs enfants. La pitié publique eût même volontiers alors décrété non pas l’éducation obligatoire, mais l’allaitement gratuit.

Et après cette première fête du 14 juillet, d’autres fêtes allaient venir, fêtes civiques, fêtes militaires, fêtes de toutes les journées révolutionnaires, Fête de l’Agriculture, Fête des Époux, Fête de l’Être Suprême, Fête de l’Hospitalité, Fête de la Jeunesse, Fête des Martyrs de la Liberté, Fête de la Raison, Fête de la Réconciliation, Fête des Victoires, Fête de la Renaissance, Fête de la Vieillesse, Fête de la Souveraineté du Peuple, sans compter la Fête des Rois, qu’on célébrait parfois secrètement en risquant sa tête pour une fève.

Michelet et son tombeau

Quelles belles pages écrirait un Michelet sur la philosophie de ces fêtes que M. Turquet, quel que soit son zèle, ne nous rendra certainement pas. Michelet eût retrouvé de sa flamme de jeunesse pour chanter — il n’y a pas d’autre mot — la Fête des Drapeaux, comme il chanta la Fédération. Et il aura sa fête, lui aussi, le grand historien national. Dans peu de temps, ceux qu’il aima, ceux qui l’admiraient, se trouveront groupés autour du tombeau qu’on lui élève41.

Ce tombeau sera bientôt achevé42. L’État a fait son devoir. Il a donné tous les marbres. Ils viennent d’arriver de Carrare. Antonin Mercié43 n’a plus qu’à vouloir. C’est à lui qu’il appartient, en achevant son œuvre, de hâter le moment où ce pays-ci pourra payer sa dette à l’auteur de l’Histoire de France.

Et le monument de ce vrai Français sera d’autant plus glorieux que toutes les nations l’auront élevé. Angleterre, Roumanie, Pologne, Russie, Portugal, Italie, Suisse, Grèce. La Roumanie, ce petit peuple grand par le cœur a voté à l’unanimité, par son Parlement, cinq mille francs. L’Italie, qui a tant et tant reçu de Michelet, a bien moins conservé la religion du souvenir ; mais si la Chambre n’a rien fait, les villes, chose touchante, ont voulu l’honorer. Livourne44, par exemple. Le chantier de la marine royale a fait une motion et tous ont demandé de concourir depuis les employés supérieurs jusqu’au plus modeste ouvrier.

À Rome, les dames romaines et les plus illustres ont formé un comité pour exprimer leur reconnaissance à l’auteur de l’Histoire romaine45. M. Orlando, ingénieur de la marine, et Mme Orlando, ont été chargés de remettre les offrandes « sur la tombe de celui qui a été Italien plus que les Italiens. »

Le jour où l’on découvrira le marbre de Mercié, où Michelet, maigre et vivant, apparaîtra, couché là pour l’éternité, sera pour les lettres un jour solennel. L’apothéose d’un homme vaut parfois celle d’une idée.

Le quartier Monceau

Mais que les souvenirs d’autrefois m’ont entraîné loin, dans cette causerie ! Ils me conduiraient d’ailleurs à faire d’étranges réflexions si je comparais encore le Paris de 1790 à celui d’aujourd’hui, le vieux Paris boueux, éclairé par des réverbères allumés tant bien que mal, à des heures différentes, à ce Paris de l’avenue de l’Opéra, flamboyant, flambant neuf, luxueux, éclatant, plein de bruit, de dorures, de fracas, n’ayant plus de rues mais des avenues, remplaçant les masures par les maisons à six étages, le Paris de 90 qui spéculait modestement sur la loterie royale, les lots des hôpitaux, la demi-caisse d’escompte ou les actions des Indes, tombées d’ailleurs de 2 500 livres à 1 890,87 ½ — à ce Paris qui brasse des millions, bâtit partout des palais où loger des sociétés financières, avec escaliers de pierre et colonnes de marbre, comme pour prouver au souscripteur la solidité des emprunts émis. —Eh ! oui, vraiment, les réflexions que ferait naître un tel rapprochement — une telle antithèse — seraient parfois amères.

Au moment, où Lafayette réclamait, avec un Noailles et un Montmorency, l’abolition des titres de noblesse, le comte Faucigny de Lucinge46, député de Bourg-en-Bresse (le même qui interrompait le marquis d’Estourmel47, son collègue ; proposant un amendement, — par ces mots : « Un gentilhomme ne propose pas d’amendement ! », ce député donc s’écriait :

— Vous voulez détruire les distinctions des nobles, et il y aura toujours celle des banquiers et des usuriers qui auront des 200 000 écus de rente !

L’argent ! Voilà ce qui a pris le pas, en ce monde, depuis les quatre-vingt-dix ans dont tout à l’heure j’évoquais le fantôme. Une féodalité semble s’être substituée à l’autre. C’est la force succédant à l’idée.

Je suis frappé, en toutes choses, de l’extension du darwinisme, de l’écrasement, du faible, de ces énormes magasins de nouveautés, immenses puissances anonymes, se substituant, par exemple, dans notre Paris nouveau, aux petites boutiques artistiques d’autrefois comme un éléphant qui, sous son pied, étoufferait une portée d’écureuils. Il y a là un fait significatif : l’absorption d’une infinité d’efforts par un effort unique, la centralisation de toute la consommation, d’une ville. Un temps viendra, n’en doutons pas, où les petites boutiques seront fermées, n’ayant plus de raison d’être. Il existe déjà, dans Paris, des quartiers entiers sans boutique. À peine une pharmacie, çà et là, pour les remèdes. Quant aux provisions, on va aux Halles.

Le quartier de Monceau, par exemple, est extraordinaire en ce sens. C’est une ville dans une ville, et une ville qui vient de sortir de terre, et une ville uniquement composée d’hôtels, petits et grands48. Avant qu’il soit longtemps, tout homme qui n’aura point son hôtel semblera un pleutre. Des rues entières, des rues immenses, émergent tout à coup dans ce quartier, neuf, avec des châteaux grands comme Chenonceau ou Amboise. Lorsque le peintre Jadin49, le faiseur de chiens, acheta cette plaine en jachère, il y a quarante ans, le terrain y valait trente sous le mètre. En 1870, on en trouvait encore pour 45 francs. Maintenant le mètre vaut 200, 300, 400 francs. C’est une folie ! On paiera bientôt 1a terre, le sable, plus cher que l’or.

Mais quoi ! tout homme un peu connu, tout peintre un peu coté, toute femme à la mode, toute femme du monde qui se plaît à suivre le mouvement, le courant, le chic — l’inévitable mot de l’heure actuelle — tient à avoir un hôtel, son hôtel. C’est une rage. C’est mieux que cela : encore : c’est un signe caractéristique. Nous assistons, si je puis dire, à l’aristocratisation d’une société démocratique.

Jamais on n’a jeté tant d’argent aux superfluités, aux curiosités, aux tapissiers, aux peintres-verriers, aux tentures. Nos grand’mères avaient l’amour-propre de montrer leurs armoires à linge bourrées et sentant bon. C’était la vertu de la France, cet amour du linge, de la vieille toile de famille. Machiavel, voyageant chez nous, en fut très frappé et en fait quelque part la remarque. Aujourd’hui, la vanité des femmes est dans le bibelot. On prétend que l’amour exagéré des bizarreries, des curiosités, marque un affaissement quelconque les peuples. Les nations, lorsqu’elles s’amusent à certains joujoux, retombent en enfance. Voyez les Chinois.

Ah ! vraiment oui, il est grand temps de rendre à ce peuple ses drapeaux : — le drapeau, jouet sublime, du moins, pour qui l’on combat et pour qui l’on meurt !

Jules Claretie

Notes

1       « 30 juin » dans l’édition Havard. Il ne semble pas s’être passé quoi que ce soit de notable à l’une ou l’autre de ces deux dates, ni, d’ailleurs au cours de ce mois de juin.

2       C’est par la loi du six juillet 1880 qui sera votée dans trois semaines, que le quatorze juillet sera proclamé jour de la fête nationale et le drapeau tricolore emblème du pays. Ce n’est pas la prise de la Bastille, trop sanglante et meurtrière qui est commémorée, mais l’anniversaire suivant, de la fête de la Fédération (note suivante). Le même jour s’est tenue à Longchamp la « fête des drapeaux », grande cérémonie militaire au cours de laquelle le Président Jules Grévy a remis le drapeau tricolore aux régiments présents. Dans Le Temps du treize juillet prochain, Jules Claretie, toujours très admirateur des militaires, donnera à ce propos une Vie à Paris particulièrement lyrique. C’est depuis 1880 que se tient le défilé militaire sur les Champs-Élysées et dans les plus grandes villes de France.

3       La première « fête de la Fédération » s’est tenue le quatorze juillet 1790 au champ de Mars et en Province dans un grand enthousiasme, nettement retombé les années suivantes.

4       Il n’est pas impossible que Jules Claretie en ait été.

5       Après ce point, les textes du Temps et de l’édition Havard deviennent très différents. C’est l’édition du Temps qui est donnée ici.

6       Edmond Turquet (1836-1914) est, depuis février 1879, sous-secrétaire d’État au ministère de l’Instruction publique chargé spécialement de la direction des Beaux-Arts. Il sera élu cinq fois député de l’Aisne entre 1871 et 1889.

7       Jacques-Louis David (1748-1825), député à la Convention, a voté la mort de Louis XVI. Admirateur de Napoléon, il est devenu son peintre officiel ce qui lui a valu bien des misères lors des Restaurations. Au début de 1816 Jacques-Louis David a dû se réfugier à Bruxelles, où il est mort à la toute fin de l’année 1825.

8       Gonzalo Fernández de Córdoba y Aguilar (1453-1515), militaire espagnol.

9       Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794, à 39 ans), homme de lettres élu à l’Académie française en mars 1788. Jean-Pierre Claris de Florian a écrit de très agréables fables bien mal connues, dont celle-ci : « Un auteur se plaignait que ses meilleurs écrits / Étaient rongés par les souris. / Il avait beau changer d’armoire, / Avoir tous les pièges à rats, / Et de bons chats ; / Rien n’y faisait : prose, vers, drame, histoire, / Tout était entamé ; les maudites souris / Ne respectaient pas plus un héros et sa gloire, / Ou le récit d’une victoire, / Qu’un petit bouquet à Cloris. / Notre homme au désespoir et l’on peut bien m’en croire, / Pour y mettre un auteur peu de chose suffit, / Jette un peu d’arsenic au fond de l’écritoire ; / Puis, dans sa colère, il écrit. / Comme il le prévoyoit, les souris grignotèrent, / Et crevèrent. // C’est bien fait, direz-vous ; cet auteur eut raison. / Je suis loin de le croire : il n’est point de volume / Qu’on n’ait mordu, mauvais ou bon ; / Et l’on déshonore sa plume / En la trempant dans du poison. »

10     Alexandre Dumas, Impressions de voyage, Charpentier 1835, plusieurs tomes. Dans l’« Exposition » du voyage en Suisse, Alexandre Dumas donne cette anecdote « Le 9 juin [1832] je lus dans une feuille légitimiste que j’avais été pris les armes à la main, à l’affaire du cloître Saint-Méry, jugé militairement pendant la nuit, et fusillé à trois heures du matin. […] Au même instant la porte de ma chambre s’ouvrit, et un commissionnaire entra, porteur d’une lettre de Charles Nodier, conçue en ces termes : “Mon cher Alexandre, / Je lis à l’instant, dans un journal, que vous avez été fusillé hier à trois heures du matin ; ayez la bonté de me faire savoir si cela vous empêchera de venir demain, à l’Arsenal, dîner avec Taylor.” Je fis dire à Charles que, pour ce qui était d’être mort ou vivant, je ne pouvais pas trop lui en répondre, attendu que moi-même je n’avais pas encore d’opinion bien arrêtée sur ce point ; mais que, dans l’un ou l’autre cas, j’irais toujours le lendemain dîner avec lui. »

11     Madame du Barry (Jeanne Bécu, 1743-1793, guillotinée), dernière favorite de Louis XV de 1768 à 1774.

12     Louis Antoine Léon de Saint-Just (1767-1794, guillotiné). Organt, poème paru sans nom d’auteur (et sans bruit) l’année de la Révolution (deux volumes).

13     Claude-Christophe Gourdan (1744-1804), avocat, lieutenant criminel assesseur du bailliage de Gray (entre Dijon et Besançon), député d’avril 1789 à mai 1797.

14     Louis-Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil (1724-1802), officier de marine, député des États généraux de 1789, membre du Comité de Marine à la Constituante.

15     Jacques Antoine Marie de Cazalès (1758-1805), député de la noblesse, orateur brillant.

16     Antoine Barnave (1761-1793, guillotiné), avocat, député, orateur, a joué un rôle important dès le début de la Révolution. Fondateur du club de Jacobins en octobre 1789, il a été peu à peu dépassé sur sa gauche par les ultras. Désigné pour reconduire à Paris la famille royale après Varennes, touché par le sort de la reine il a entrepris une correspondance secrète avec elle. La découverte de cette correspondance à l’été 1892 l’a conduit à sa perte.

17     Le neuf août 1830. Et il aurait ajouté : « J’espère que ce sera le dernier ».

18     Michel Regnaud de Saint-Jean d’Angély (1760-1819), avocat et journaliste, député aux États généraux, conseiller et ministre d’État, procureur général près la Haute Cour impériale, membre de l’Académie française en 1803 sans y avoir été élu, puis exclu en 1816.

19     Jacques-François de Menou, baron de Boussay (1750-1810), député de la noblesse de mars 1789 à septembre 1791, mort gouverneur de Venise.

20     Jean-Baptiste de Cloots (1755-1794), guillotiné, est né en Allemagne. Fervent francophile, athée dogmatique, très favorable à la Révolution française, Jean-Baptiste de Cloots a été fait citoyen d’honneur de la France au cours de l’été 1792. Le Val de Grâce en question est le lieu de naissance de Jean-Baptiste de Cloots près de Clèves, au nord-ouest de Dusseldorf et est la traduction de Gnadenthal. Il semble que « Vallée de la Grâce » conviendrait davantage.

21     Gazette nationale, ou Le Moniteur universel, quotidien paru le cinq mai 1789.

22     François Dominique de Reynaud de Montlosier (1755-1838), député et pair de France.

23     Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau (1749-1791), mort de maladie, peut-être d’overdose, frère aîné d’André Boniface Riquetti, vicomte de Mirabeau (1754-1792), mort exilé en Allemagne.

24     Charles François de Perrotin de Barmond (1759-1795), député du clergé aux États généraux, secrétaire de l’Assemblée nationale, mort en exil en Hongrie.

25     François Emmanuel Guignard, comte de Saint-Priest (1735-1821).

26     Femme de lettres et militante féministe, Hubertine Auclert (1848-1914) créera le bimensuel La Citoyenne le treize février prochain (1881). Dans Le Temps du douze juillet prochain (1880), page deux, nous pouvons lire : « M. le préfet de la Seine a reçu la lettre suivante : “Monsieur le préfet, / Vous m’informez que, pour rejeter ma demande de dégrèvement d’impôt, vous vous appuyez sur l’article 12 de la loi du 21 avril 1832, qui déclare imposable à la contribution personnelle et mobilière tout habitant français ou étranger non réputé indigent. / Il y a quelques mois, je m’appuyais sur une loi identique, mais de date plus récente : la loi du 5 mai 1848, qui dit, article 6 : « Sont électeurs tous Français », pour réclamer mon inscription sur les listes électorales. / On m’a répondu que devant le scrutin, Français ne signifie pas Française. / Si Français ne signifie pas Française devant le droit, Français ne peut signifier Française devant l’impôt. / Je n’accepte pas cette anomalie qui fait mon sexe incapable de voter et capable de payer. / Comme vous ne paraissez pas tenir compte des motifs qui me font refuser les contributions, j’ai l’honneur de vous informer, monsieur le préfet, que je désire user de mon droit de présenter des observations à la séance publique du conseil de préfecture que vous voudrez bien m’indiquer. Je m’y ferai assister par Me Giraud. / Recevez, monsieur le préfet, mes empressées salutations. / Hubertine Auclert.” »

27     Voir plusieurs journaux de l’époque dont le Journal général de la cour et de la ville du 13 juillet 1790, page deux ou le Journal universel (même date, page une).

28     De nos jours l’Opéra-Comique de la place Boieldieu.

29     Le Journal de Paris du quatorze juillet 1790 page cinq (texte ici remanié et enrichi de crochets) : « Aujourd’hui, quatrième représentation du Chêne patriotique ou La Matinée du quatorze juillet 1790, comédie nouvelle [de Jacques Boutet de Monvel sur une musique de Nicolas d’Aleyrac] en deux actes et en prose, mêlée d’ariettes [en vers], précédée de la quatre-vingtième représentation des Deux petits Savoyards, comédie nouvelle [de Benoît-Joseph Marsollier, elle aussi sur une musique de Nicolas d’Aleyrac] en un acte, en prose. / On commence à sept heures / Demain Le District de village [de Desfontaines] et la huitième représentation de Ferdinand [Ferdinand, ou La Suite des deux pages, opéra-comique de Nicolas Dezède en trois actes, en prose, avec des couplets en vers]. / En attendant la dixième représentation de Jeanne d’Arc à Orléans [comédie en trois actes en vers de Desforges mêlée d’ariettes, sur une musique de Rodolphe Kreutzer] »

30     Ce Waux-Hall d’été est resté longtemps le pendant du Waux-Hall d’hiver qui se tenait boulevard Saint-Germain. On peut aussi imaginer que ce Waux-Hall d’été n’était pas couvert, ou pas entièrement. L’établissement a souvent déménagé tout en demeurant dans ce quartier populaire, entre le boulevard Saint-Martin et le canal (creusé seulement au début du XIXe siècle). Le Waux-Hall qui nous intéresse est le deuxième du nom, apparu en 1785, quatre ans avant la Révolution. Il se trouvait face à l’immense Café parisien, alors le plus grand du monde. Sa trace existe encore de nos jours sous la forme de l’assez triste Cité du Wauxhall, au nord-ouest de la place de la République.

31     Joseph Aude (1755-1841), poète et auteur dramatique surtout connu pour ses cinq comédies en un acte sur le thème de Cadet Roussel. Retenons Cadet-Roussel, ou le Café des aveugles de 1794 à cause de la note de la prochaine quinzaine sur le café des aveugles du jardin du Palais-Royal. Retenons aussi Madame Angot au sérail de Constantinople créé à l’Ambigu comique du boulevard du Temple du printemps 1800 (1 prairial an VIII).

32     Joseph Aude, Le Journaliste des ombres, ou Momus aux Champs-Élysées, « pièce héroï-nationale en un acte en vers, représentée pour la première fois par les comédiens français ordinaires du roi sur le théâtre de la Nation [L’Odéon] le 14 juillet 1790 à l’occasion de la Confédération de la France ». Momus est une divinité grecque représentant la raillerie, les jeux de mots et les critiques moqueuses.

33     Rhadamanthe, fils de Zeus et d’Europe, renommé pour sa vertu, sa sagesse et sa justice.

34     Peut-être Abraham Fabert d’Esternay (1599-1662), militaire à l’âge de quatorze ans, lieutenant général en 1650, maréchal de France en 1658.

35     Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre (1658-1743), premier aumônier de la duchesse d’Orléans, fréquentant les salons littéraires. L’abbé de Saint-Pierre a été élu à l’Académie française au début de l’année 1695 puis radié, peut-être vers 1718, pour crime de démocratie, préférant un État gouverné par un Conseil (nous étions sous la Régence), que par un monarque. Il aurait introduit dans la langue française les mots bienfaisance (en remplacement de charité), et gloriole.

36     Lekain (Henri-Louis Caïn, 1729-1778), tragédien célèbre en son temps.

37     Adrienne Lecouvreur (1692-1730), a su moderniser la diction de la tragédie. Son souvenir est conservé par la comédie-drame en cinq actes d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé sur une musique de Francesco Cilea, créé au Théâtre Français en avril 1849 et portant son nom. Une allée le long du Champ de Mars, proche de l’endroit où Lucien Guitry avait fait construire sa maison, porte aussi son nom.

38     Olla podrida : Spécialité culinaire espagnole comprenant toutes sortes de viandes.

39     Cette graphie singulière a déjà été observée lors de dates précédentes de La Vie à Paris sans qu’il soit possible de l’imputer à un intervenant ou à une autre, Jules Claretie (peu probable), le typographe ou le correcteur…

40     Marc Antoine Désaugiers (1739-1793), La Prise de la Bastille, hiérodrame tiré des livres saints, avec chœur. Texte d’un vendeur de la brochure en 2025 (17 pages, 250 €uros) : « À l’occasion de la fête de la Fédération, sur une proposition de Dusaulx, il est convenu qu’électeurs et notables se rendraient le 14 juillet de chaque année à l’Hôtel-de-Ville et, de là, à Notre-Dame où sera chanté un Te Deum et prononcés des discours ; un festin patriotique suivra cette fête. Le compte rendu des séances où est minutieusement organisé l’événement est rédigé par Jean Sylvain Bailly et le baron Honoré Duveyrier. Il est suivi du texte d’un hiérodrame musical composé pour l’occasion par [ici le vendeur confond le père et le fils, ne lui en voulons pas] Marc-Antoine Désaugiers mis en musique par Candeille. Il s’intitule : La prise de la Bastille, Hyérodrame [sic], tiré des Livres saints. Suivi d’un Cantique en action de grâces. Texte et didascalies (pages 7 à 10). L’œuvre fut représentée à Notre-Dame, à la suite du Te Deum, deux années consécutives (les 13 juillet 1790 et 1791). »

41     Jules Michelet (1798-1874), historien romantique et anticlérical surtout connu pour son Histoire de France du Moyen-Âge à Louis XVI (17 tomes). Son Histoire de la Révolution est parue deux fois en Pléiade, la première fois en 1939 dans une édition de Gérard Walter (deux volumes de 3 264 pages en tout) et la deuxième fois en 2019 dans l’édition de Paule Petitier (deux volumes de 3 072 pages en tout).

42     Ce tombeau sera achevé dans deux ans, à l’été 1882. Jules Claretie lui réservera un chapitre de sa Vie à Paris du quatorze juillet 1882. Plusieurs articles paraîtront dans divers journaux autour de cette date.

43     Antonin Mercié (1845-1916), peintre et sculpteur, élève d’Alexandre Falguière, prix de Rome en 1898. Antonin Mercié est le sculpteur du tombeau de Jules Michelet au Père-Lachaise.

44     Livourne, important port italien entre Gêne et Rome, a été conquise par Napoléon en 1796. La ville a été rattachée à l’Italie à l’occasion de l’unification de l’Italie en 1860.

45     Histoire romaine est le premier ouvrage publié par Jules Michelet, chez Hachette en 1831, constamment réédité jusqu’à nos jours.

46     Amédée de Faucigny-Lucinge (1755-1801), marquis de Coligny et comte de Lucinge, député de la noblesse de Bourg-en-Bresse du quinze décembre 1789 au trente septembre 1791, puis émigré à Londres, où il est mort à l’âge de 46 ans. On ne confondra pas Amédée avec Charles-Marie de Faucigny-Lucinge (1824-1910), prince de Lucinge, comte de Faucigny et de Coligny, député union des droites des Côtes-du-Nord de 1876 à 1878 puis invalidé.

47     Vraisemblablement Louis Marie, marquis d’Estourmel (1744-1823), militaire et homme politique.

48     Voir Philippe Hériat, La Famille Boussardel, série romanesque à succès qui paraîtra en plusieurs tomes à la fin et après la seconde guerre mondiale.

49     Louis Jadin (1805-1882), peintre animalier et paysagiste, ami intime d’Alexandre Dumas père. La ville de Paris a donné son nom à une petite rue sans histoires, proche du parc Monceau.

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