« Vie à Paris » parue dans Le Temps du dix août 1880 et mise en ligne le seize octobre 2025 Temps de lecture : une grosse demi-heure.
Les textes du Temps et de l’édition Havard sont parfois fort différents dans de nombreux détails sans l’être jamais fondamentalement. C’est — comme toujours ici — le texte du Temps qui a été privilégié, sans ignorer toutefois le texte de Victor Havard. Les chapeaux, comme toujours, sont de 2025.
Rubans violets et rubans rouges — Un prix Montyon en police correctionnelle — La Dame aux Camélias en opéra-comique et les droits des auteurs — Tempérants, teatotalistes et végétariens — Une société de tempérance pendant le siège de Paris — Louis Boussenard en Guyane — Trois statues de Tours — La littérature canadienne — Le Drapeau de Carillon — Notes
Rubans violets et rubans rouges
Cette semaine est maigre comme doit l’être, à cette heure, le docteur Tanner1, cet américain qui est un phénomène s’il n’est pas un puff2 vivant. Toute la « vie parisienne » est à Cherbourg où les deux présidents se sont rendus3. Ici, les distributions de prix une fois achevées, les vacances ont bel et bien commencé. De ces distributions de prix, il y en a eu de diverses sortes, depuis la couronne de papier vert jusqu’au ruban rouge de la Légion d’honneur. On s’attendait, l’autre jour, à ce que M. Turquet4 au Conservatoire, remit les insignes de commandeur à M. Ambroise Thomas5 et la croix d’officier à M. Jules Massenet6. Les journaux qui promettent tout l’avaient annoncé, et M. Massenet ne pouvait faire un pas sans être assailli de compliments et de félicitations :
— Mon cher ami, je vous félicite…
— Permettez-moi, cher monsieur, de vous féliciter…
— Toutes mes félicitations, mon jeune maître…
— Et pourquoi ? Et de quoi me félicitez-vous ? répondait, M. Massenet.
— Comment pourquoi ? n’êtes-vous pas nommé officier ?
— …D’académie ! répondait l’auteur du Roi de Lahore7. Gardez vos compliments pour plus tard8.
Le ruban violet, qu’on a beaucoup trop prodigué, ne vaut pas, en effet, le ruban rouge ; mais familièrement, parmi les gens qui aiment à avoir quelque ornement à leur boutonnière, on l’appelle le homard, parce qu’il rougit à un moment donné. Les palmes d’officier sont un acheminement, à la rosette ; mais combien de féliciteurs de M. Massenet en ont été pour leurs frais ! Lui s’en est tiré en souriant et en continuant à travailler à cet opéra dont il doit donner la primeur à Milan, au mois de mars prochain. C’est à Milan que fut joué pour la première fois le Mefistofele de Boïto9, que voilà en train de faire son tour d’Europe et qu’on nous montrera quelque jour à Paris, la Patti10 chantant peut-être ici ce que la Nilsson11 vient de chanter à Londres. Et le Mefistofele, dont Boïto conduisit lui-même l’orchestre à la mode italienne, le soir de la première représentation, subit même la dure épreuve d’une tempête. Il est à croire que le futur opéra milanais de Massenet12 deviendra rapidement, lui aussi, européen et parisien sans traverser tout d’abord de tels orages.
Un prix Montyon en police correctionnelle
Bref, la croix d’officier du jeune musicien est demeurée, comme la croix de commandeur du vieux maître, dans ces limbes d’étrange sorte qui s’appellent les cartons de l’administration. Elles n’y resteront peut-être pas longtemps, mais elles n’en sont point sorties. L’Académie a été plus généreuse en prix de vertu que le ministère en rubans rouges. Elle en a donné beaucoup. Elle aurait pu en donner plus encore. Elle va subir d’ailleurs, paraît-il, une étrange épreuve. L’an dernier, elle couronna, avec beaucoup d’éloges, un homme qui, avant même d’avoir touché au secrétariat de l’institut le montant de son prix, accompagné, je crois, d’une médaille, se fit condamner pour outrage à la pudeur. Ce bizarre lauréat est emprisonné, subit sa peine et, aussitôt délivré, se présente à M. Pingard13 pour recevoir la somme accordée à sa vertu. On la lui refuse, il proteste ; on persiste, il se fâche, et finalement il s’est adressé aux tribunaux pour obtenir la somme qu’on lui avait décernée.
Le procès sera piquant. Il est évident qu’il y a là erreur, non sur la personne, mais sur les qualités de la personne. Ce vertueux était un faux vertueux. L’Académie avait, ce jour-là, couronné simplement l’hypocrisie. Un philosophe a dit, il est vrai, que ce vice était encore un hommage rendu à la vertu14. De telles erreurs ne sont point si fréquentes, et les lauréats n’appartiennent pas tous à cette ironique catégorie des Atar-Gull15 qui reçoivent des prix Montyon pour avoir fait étouffer leurs jeunes maîtresses par des serpents et mourir à petit feu leurs vieux maîtres paralytiques. C’était là un paradoxe byronien d’Eugène Sue, absolument comme le discours de M. Sardou, dans lequel des esprits maussades ont voulu voir une attaque à la science, était un adorable paradoxe parisien16.
La Dame aux Camélias en opéra-comique et les droit des auteurs
J’ai remarqué, l’autre jour, que, sauf M. Camille Doucet17, pas un des auteurs dramatiques de l’Académie n’était venu à l’Institut. Il s’agissait pourtant d’écouter un confrère. Mais on est loin : M. Legouvé est à Seine-Port, M. Émile Augier est à Croissy, M. Feuillet est en Normandie, M. Labiche est en Sologne, M. Dumas est à Puy, et « Sarah Bernhardt » sera bientôt en Amérique18. C’est même là [à Puy] que l’auteur du Demi-Monde19 va recevoir une visite et traiter sans doute une affaire d’un vif intérêt. M. Philippe Gille20 a eu l’idée d’adapter en français la Traviata de Verdi et d’en faire, sous le titre de la Dame aux Camélias, un opéra pour l’Opéra-Comique, avec les paroles mêmes de la pièce de M. Dumas et des verselets nouveaux sur la musique du maestro italien21. Ce serait cette blonde Mlle Bilbaut-Vauchelet22 qui jouerait le rôle de Marguerite Gautier.
Mais le curieux de l’affaire, puisque je me sers de ce mot, c’est que M. Alexandre Dumas va se heurter, non pas seulement à Verdi, qui sans nul doute détachera volontiers sa musique de la poésie23 de Violetta mais au traducteur français de cet opéra italien de Violetta, qui était une simple pillerie de la Dame aux Camélias. M. Dumas devra prier son pirate de vouloir bien consentir à lui restituer le droit de reprendre un bien exploité depuis tant d’années. Et si le corsaire s’y refuse ? Et si, la Dame aux Camélias appartenant à Alexandre Dumas, Alexandre Dumas n’a aucun droit de modifier Violetta ou d’exproprier Violetta qui est une simple traduction de la Dame aux Camélias ? Ce sont là les curiosités et les bizarreries de la propriété littéraire. Et le fait, quelque étonnant qu’il soit, n’est point nouveau.
Un jour, Anicet Bourgeois emprunte sans plus de façons, à George Sand, le roman de la Petite Fadette24 et en fait, aux Variétés, sous ce même titre, un petit drame champêtre25 pour Mlle Thuillier26. Je ne crois pas que jamais George Sand en ait, comme on dit, touché un sou. Des années passent. Un compositeur de talent vient demander à George Sand l’autorisation d’écrire de la musique sur un opéra-comique tiré de la Petite Fadette. Le projet sourit à Mme Sand ; elle promet d’écrire elle-même une partie du livret, elle va se mettre à l’œuvre. Tout aussitôt, intervention inattendue des héritiers d’Anicet Bourgeois, des représentants des auteurs du drame, et George Sand, qui a écrit la Petite Fadette, n’est plus maîtresse de faire de son roman une pièce de théâtre. Sa création appartient à autrui par le seul fait qu’autrui y a porté la main27. George Sand est contrainte de demander à d’autres l’autorisation qu’elle a elle-même donnée et elle ne peut rentrer, sans prières, en possession de son bien.
On ne peut s’imaginer Victor Hugo demandant aux auteurs d’Hernani, opéra italien28, la permission de laisser composer un opéra français avec Hernani, et pourtant il en faudrait peut-être venir là, si Victor Hugo ne détestait point les opéras, trouvant, avec raison, que les beaux vers se passent fort bien de musique.
⁂
Nous aurons donc peut-être dans quelques mois, en même temps qu’une Marguerite Gautier qui mourra, en prose, au Vaudeville, sous les traits de Sarah Bernhardt, une autre Marguerite Gautier qui mourra en chantant à l’Opéra-Comique, sous les traits de Mlle Vauchelet. Je viens, soit dit en passant, de prendre part au problème soulevé récemment par M. Victor Schœlcher29, en écrivant là « Sarah Bernhardt » tout court et en disant de Mlle Vauchelet « Mademoiselle ». M. Schœlcher, dans une lettre à M. Auguste Vacquerie30, demandait, l’autre jour, qu’on cessât de dire « Got », ou « Delaunay » ou « Worms », et qu’on ne parlât point d’eux sans leur donner du monsieur comme à tout le monde. M. Schœlcher, qui est le plus poli des hommes, une sorte de M. de Coislin de la démocratie, trouve que les critiques de théâtre ne sont pas assez courtois envers les comédiens. Très éloquemment, M. Auguste Vacquerie fait campagne pour réclamer la croix pour les acteurs. M. Schœlcher veut qu’on leur donne en outre cette espèce de décoration quotidienne qui est le salut, j’allais presque dire le respect.
Ce sont là des questions fortes intéressantes, puisqu’elles touchent à une classe entière d’artistes, mais je crois bien que, depuis longtemps, la question est jugée.
— Je croyais, monsieur, que depuis la Révolution nous étions tous égaux ? disait M. de Ségur31 à un comédien qui le prenait, avec lui, d’un peu trop haut.
Il serait aussi injuste, aussi niais et aussi révoltant de tenir les comédiens en quarantaine qu’il serait excessif de leur accorder, en toutes choses, la première place, ce qui bien souvent arrive. Le temps n’est plus où Frédérick LeMaître, récitant un monologue dans un salon de Londres, remarqua qu’on avait tendu, entre lui et les spectateurs aristocratiques, un mince fil de soie, et marcha dessus pour le briser. Le fil est rompu ou plutôt il sert à lier intimement les mondains aux comédiens. L’artiste dramatique est le roi du salon où il vient dire une pièce de vers. Il ne fait plus antichambre, il fait groupe ; il est centre de groupe. On le boit des yeux. Les femmes résistent encore à la souveraineté des comédiennes. Une actrice, dans une soirée, n’est guère entourée que d’un cercle masculin. Les femmes regardent, analysent, détaillent la toilette, s’inquiètent si la diva ou la stella met de la poudre de riz ou du rouge ; mais elles ne « font point groupe » encore. Cela viendra.
Quant à appeler Mlle Sarah Bernhardt mademoiselle, ou à dire de Mme Patti la Patti, ce ne sont point là choses qui se décrètent. On honore autant un homme en lui donnant simplement son nom qu’en l’appelant monsieur. Je dis : Rachel, et je dis : Mme Théo32, et pourtant il y a une nuance et une distance. La critique italienne la plus grave, dans les journaux, dans les revues, dans les Dictionnaires biographiques comme celui de M. de Gubernatis33, dit : il Augier, il Renan, il Vacquerie, il Schœlcher, ou la Sand et la Beecher-Stowe34 et n’insulte point ceux dont elle parle ainsi, bien au contraire. On ne peut qu’approuver M. Schœlcher de réclamer un peu plus de formes dans la façon de traiter les gens de théâtre ; mais j’ai consulté là-dessus un comédien qui me paraît avoir résolu la question lorsqu’il m’a répondu :
— Qu’on m’appelle monsieur ou qu’on m’appelle un tel, cela m’est parfaitement indifférent, pourvu qu’on m’applaudisse et qu’on dise du bien de moi !
Tempérants, teatotalistes et végétariens
Nous n’aurons pas mais nous avons failli avoir, pour l’an prochain — des discussions plus particulières, à Paris. Les membres du Congrès de l’Alcoolisme, qui vient de se tenir à Bruxelles, demandaient que la réunion prochaine se tint, en 1881, à Paris. On a voté et l’on a voté pour Londres. C’est dommage. Ce Congrès de 1’Alcoolisme vient de se terminer, en Belgique, par un banquet d’une originalité qui eût diverti les Parisiens. C’est un repas auquel M. John Thomas, le président de la Ligue pour la Tempérance, de Londres, a convié tous les membres du congrès antialcoolique. Dîner très particulier où l’on n’a bu ni vin ni liqueur, ni absorbé le moindre atome d’alcool, et où le thé a coulé à pleines tasses. C’est ce qu’on appelle là-bas le teatotalisme. Tout par le thé, tout pour le thé, tout au thé. Le teatotalisme menace presque de devenir une religion. La secte des teatotalistes ou des teatotalisants est déjà fort nombreuse, et je me rappelle, parmi mes plus amers souvenirs de voyage, un déjeuner à Porto-Bello, près d’Édimbourg, où nous ne parvînmes à nous faire servir que des apparences d’aliments.
— Monsieur, me répondait le stewart, vous êtes dans un temperance-hôtel !…
Le docteur Tanner, le plus tempérant des docteurs et qui pratique, lui, le watertotalisme, doit, en voyage, choisir de préférence ces hôtels-là. Je ne les recommanderais pas à tout le monde.
Avec le teatotalisme nous sommes menacés d’une autre manie, le néphalisme. Les néphaliens sont des gens qui ont juré de ne jamais boire ni une goutte de brandy ni un verre de claret. Ils sont buveurs d’eau, ils ont pour le vin la haine que dut avoir Noé après son aventure. Aux horreurs de l’alcoolisme, qui peuple de délirants et de déments les cabanons de Sainte-Anne, ils veulent substituer les bienfaits du néphalisme qui donne la santé, la force, la netteté dans les idées et la vigueur dans les muscles. Croyez « et buvez de l’eau ! » dit vulgairement le dicton.
Les végétariens, les légumistes, autres originaux, sont un peu cousins des néphaliens. Le légumiste est de date ancienne. On l’a déjà connu en France. Les solitaires de Port-Royal étaient légumistes, au moins quelques-uns. Ils se nourrissaient, dans leur désert de la vallée de Chevreuse, un peu comme les fakirs des Indes, sans manger de viande. Ils eussent peut-être aujourd’hui embrassé le teatotalisme. M. de Pontchâteau35 fût devenu néphalien. Est-ce d’ailleurs à cette humeur spéciale et à cette façon de se nourrir qu’il faut attribuer la pâleur de cire qu’ils ont sur leurs portraits, au Louvre et à Versailles ? Ces faces pâles de la mère Angélique, de la mère Agnès, ressemblent à des apparitions spectrales. L’hygiène et la diète, a dit Sainte-Beuve, étaient fort mal entendues à Port-Royal.
Je m’imagine d’ailleurs la figure que peut faire dans le monde un néphalien ! On sait qu’il est malséant, lorsqu’on se trouve à table à côté d’une dame, de lui offrir de l’eau. Il faut attendre un signe d’elle, une demande. La comtesse de Bassanville ne donne peut-être point ce renseignement, qui est un conseil et un conseil fort logique. La dame peut, en effet, ne pas vouloir d’eau dans son vin, et l’on risque alors de faire remarquer qu’elle boit pur son médoc ou son bourgogne. La politesse commande l’expectative. Mais la religion néphalienne ordonne l’empressement, et tout bon néphalien doit, ce semble, gorger d’eau ses voisins et voisines, et faire ainsi des prosélytes.
Cette façon de combattre l’alcoolisme par l’abstention se rapproche du procédé de ce docteur Tanner qui a risqué de démontrer, en mourant de faim, que l’homme peut vivre sans manger. Les néphaliens ou néphalistes et les teatotalistes ne feront point, au surplus, beaucoup d’adeptes en France. On y déteste trop ces extrêmes un peu extravagants. Des associations analogues à la Ligue anglaise pour la Tempérance existent chez nous, et il y a même une Société contre l’abus du tabac qui prouve — ou veut prouver — que la cigarette est la cause de tous les crimes ; mais les membres de ces réunions ont moins de ferveur que les sociétaires américains ou anglais.
Et pourtant j’en sais un qui a poussé loin l’amour de son œuvre.
Une société de tempérance pendant le siège de Paris
C’est toute une histoire.
Elle remonte à près de dix ans. Elle nous reporte en plein dans les jours noirs du siège, tristes journées auxquelles on ne songe plus guère aujourd’hui. Qui a rappelé que, cette semaine, il y avait dix ans tout juste — dix ans ! — que de Forbach à Froehschwiller, notre frontière, le soir du samedi 6 août, était pleine de morts, de plaintes des blessés montant dans l’air de la nuit, par le plus beau, le plus pittoresque et le plus cruel clair de lune que j’aie vu de ma vie ?
Ah ! la triste nuit ! On n’y pense plus. L’oubli est peut-être une des nécessités de l’existence pour les nations. En avant ! Go head! Et à l’œuvre !
Bref, c’était pendant le siège de Paris. On y savait faire son devoir, mais, en certains coins, Paris conservait encore, même en de telles épreuves, le goût vengeur et fortifiant du rire. Nous étions quelques Parisiens qui avions, ne fût-ce que pour nous distraire, accepté de faire partie d’une Association fondée par des philanthropes de très bonne foi, dans le but d’imposer la tempérance à l’armée, à la garde nationale et aux simples citoyens. On se réunissait dans le magasin déserté d’un grand facteur de pianos, et là, les futurs auteurs de Jean de Nivelle36, M. Léo Delibes37, en uniforme de sous-lieutenant d’état-major de la garde nationale, et M. Gille, accompagnaient parfois de quelques accords les discussions de cet autre Congrès de l’alcoolisme. Un homme d’un certain âge, capitaine de la légion de Seine-et-Oise, le présidait, et nous présidait, très gravement. Nous ne savions pas exactement son nom ; on l’appelait communément le capitaine Sud-Ouest, à cause de ces deux lettres : S.-O. (Seine-et-Oise) qu’il portait brodées sur son képi.
Ah ! les étranges discussions auxquelles nous assistâmes alors et quels « documents humains » formeraient, s’ils avaient été réunis, les procès-verbaux de ces séances !
Avec la meilleure foi du monde ces braves gens qui voulaient extirper l’alcoolisme de Paris38, et parmi lesquels s’était glissé plus d’un sceptique, posaient et discutaient, pendant plusieurs séances de suite, des questions comme celle-ci :
« Un membre de l’Association de tempérance a-t-il le droit, même en cas de bombardement, de se réfugier dans une cave ? »
— Ah ! c’est grave ! c’est très grave ! disaient des orateurs très sincères. Évidemment la vie humaine est sacrée ! Éviter les obus est chose prudente !… Mais la cave !… Descendre dans la cave !… Un membre de 1’Association de tempérance !…
— Mais si la cave est vide ? criait quelqu’un.
— Ah ! si la cave est vide, c’est autre chose !… Une cave vide n’est plus une cave !…
— C’est un caveau ! répondait un sceptique.
Et, sans sourciller, l’assemblée votait que « tel article » des statuts de l’Association porterait qu’un membre avait le droit de chercher refuge dans une cave, à la condition qu’il ne s’y trouverait pas de bouteilles pleines.
Une autre fois, un littérateur paradoxal, qui se plaisait à se moquer de ces prudhommeries sentimentales, proposait de jeter hors des fortifications toute l’eau-de-vie en barils que contenait Paris. Les Allemands la recueillaient, s’en enivraient, et, profitant de leur ivresse, les Parisiens faisaient une sortie… Mais le président interrompit l’orateur :
— Pardon ! la proposition est anti-statutaire. Nous sommes une Société de tempérance. Nous n’avons pas le droit de nous servir de l’intempérance, même comme arme de guerre contre nos ennemis !
On n’invente pas de telles candeurs. On les étudie quand on les rencontre.
Ce capitaine Sud-Ouest nous dit, un soir, un mot digne de Molière. Il mettait aux voix, après s’être mêlé activement à la discussion, je ne sais quel article des statuts. Au moment du vote, il lève la main.
— Pardon, dit un des assistants, je ne veux pas revenir sur un vote acquis, mais je ferai observer M. le président qu’il a précisément voté contre son opinion.
Le président sourit alors, et répondit avec majesté :
— C’est vrai ! Mais je viens d’en changer !
Je ne sais pas beaucoup de mots de comédie qui vaillent celui-là !
Pauvre capitaine Sud-Ouest ! Pendant toute la durée du siège, il s’était montré profondément conservateur, tout à fait tempérant et sa tenue, son visage, sa voix, n’avaient certes rien d’anarchiste. Une simple lettre, un billet de Garibaldi le perdit tout net. On ne sait pas combien de gratte-papier malheureux Lamartine a faits en répondant à l’envoi de leurs alexandrins : « Vous êtes plus poète que moi ! » Garibaldi, en envoyant de Bordeaux au capitaine Sud-Ouest sa souscription — d’ailleurs sollicitée — à l’œuvre de régénération par la tempérance, s’avisa de déclarer à notre honnête président qu’il était « révolutionnaire » à sa manière. Le titre plut au brave capitaine. Eh bien, oui, il serait révolutionnaire, palsambleu ! puisque Garibaldi le lui écrivait ! Révolutionnaire pour tout de bon ! Et, soudainement, sans y être le moins du monde préparé, il entra, son autographe de Garibaldi à la main, dans le mouvement communaliste.
S’est-il, un matin, réveillé parmi les prisonniers de l’Orangerie39 ? À-t-il après avoir passé devant un conseil de guerre, fait le dur voyage de Nouméa ? Je le crois bien, sans pouvoir l’affirmer.
Après tout, ce pauvre capitaine Sud-Ouest a pu dire, comme à nous, à ses juges :
— C’était mon opinion ! Mais je viens d’en changer !
⁂
Les membres du Congrès de l’alcoolisme à Bruxelles ne finiront certainement pas ainsi. Ce sont des savants qui s’inquiètent sérieusement d’une question vitale pour la société contemporaine, où décidément les alcooliques deviennent de plus en plus nombreux. Le meurtre d’un gardien de la paix par un alcoolique errant à travers un faubourg de Paris montrait bien, il y a trois semaines40, que l’alcool n’est pas seulement un danger pour ceux qui l’absorbent.
Mais quoi ! c’est une vieille histoire que l’assassinat de Rouxin41, et un Congrès qui se tient à Bruxelles intéresse moins Paris qu’un vaudeville nouveau qui s’y joue ou une feuille nouvelle qui y fait son apparition. Ce n’est pas une feuille, c’est bel et bien un journal exquis dont, cette fois, les Parisiens et les Parisiennes ont eu la primeur : l’Art de la mode. L’Art de la mode ! Qui a trouvé cet heureux accouplement de mots ? Il y a, en effet, tout un art, un art singulier, attirant, bien français celui-là, dans la Mode. Et la Parisienne possède comme personne cet art-là. Il est inné en elle. La Parisienne eût trouvé moyen, au paradis terrestre, de se parer coquettement, et avec art, avec le fameux figuier. Cet « art de la mode », qui varie suivant les époques, et qu’on a connu tantôt majestueux, tantôt chiffonné, est aujourd’hui un art éclectique. Il prend à tous les temps un peu de leur séduction particulière, mais en se complaisant plus spécialement aux élégances du Directoire : chapeaux Trianon, brides en surah merveilleux, robes de satin insecte à, la Gainsborough, voilà le ton. Le Directoire est passé du théâtre dans le costume et, en vérité, avec toutes ces publications qui rappellent les petits livres érotiques des Galeries de Bois, il menace de passer dans les mœurs ou tout ou moins dans les lectures. Encore, sous le Directoire, et, plus tard, du temps de Balzac et de Félix de Vandenesse42, les séductions capiteuses des Galeries de Bois43 étaient-elles fermées aux adolescents, et une jeune femme n’eût jamais osé se glisser vers ces librairies clandestines pour en emporter — sous le manteau ou sous le mantelet — un de ces damnés livres à images… Tandis qu’aujourd’hui, c’est le kiosque des boulevards qui remplace la Galerie de Bois et toutes les rues de Paris, menaçant de devenir un Camp des Tartares.
L’art de la mode d’autrefois avait, en fait de vêtements et de contes, inventé une chose charmante qui s’appelait la gaze. Ce n’était rien et c’était tout. La gaze couvrait bien des choses. La gaze était la séduction du corsage et le triomphe de l’esprit. On disait tout, on montrait plus d’un bout d’épaule, mais en gazant. La gaze était comme la ouate qui empêche de se briser les bibelots fragiles. Elle était bien française, cette gaze qui seyait si galamment aux femmes et aux écrits.
Glissez, mortels, n’appuyez pas !
était le mot d’ordre de l’esprit qui avait du tact.
Mais aujourd’hui !… Comme on appuie, comme on écrase le crayon, comme on étale la couleur ! Quels barbouillages ! Et comme la gaze est déchirée ! Comme le vent l’emporte et jette sa coquette blancheur à la boue du ruisseau ! Et ce qu’on étale à présent ne vaut pas ce qu’on laissait deviner jadis. La finesse d’autrefois est plus française que ce gros rire gras.
On cherchait la pointe, on ne cherche que le coup de marteau. On ne sait pas plus ce que c’est que gazer qu’on ne sait ce que c’est que paraître jolie, comme Mlle Mars44, en robe de mousseline.
L’Art de la mode réagira sans doute contre toutes ces lourdeurs et ces grossièretés. Son titre oblige et ses peintres promettent. Ils sont là douze qui ont chacun annoncé une mode par mois : Stevens ouvre la marche. Carolus Duran, Heilbuth, de Nittis, Henner, Detaille, etc., continueront, d’un mois à l’autre. Quel album au bout de l’an ! Et parlez-nous ensuite des Debucourt et des Moreau le Jeune !
Louis Boussenard en Guyane
Les reporters45 de l’Art de la Mode n’ont pas loin à aller pour prendre leurs notes à Trouville ou aux Pyrénées je sais un reporter qui a plus d’ambition et qui pourrait bien devenir une sorte de Stanley46 français. Le mois passé, des écrivains et des savants mettaient en wagon M. Paul Soleillet47 partant pour l’Afrique et donnant, pour une date prochaine, rendez-vous à ses hôtes au buffet de Tombouctou. Il paraît que le prurit des voyages s’empare de la gent littéraire et savante, et un nouveau venu — ou un nouveau parti ? — M. Boussenard48, un homme d’une trentaine d’années, qui vient de publier, dans le genre de littérature enfantine, auquel non devons Jean-Paul Chopard et les Aventures de Robert, un livre amusant, le Tour du monde d’un gamin de Paris, ce M. Boussenard donc, que je n’ai jamais vu, mais qui me paraît bien trempé, s’est embarqué samedi pour une expédition de reportage extraordinaire. Il s’en va tout droit vers l’inconnu, sans savoir ce qu’il rencontrera, à la recherche d’impressions personnelles. Bien armé, bien équipé, pourvu de tout le confort que peut espérer l’explorateur, il veut traverser les forêts vierges de la Guyane, en décrire les animaux et les végétaux, suivre autant que possible la ligne des cours d’eau et de là envoyer de la copie aux journaux, absolument comme s’il s’agissait des manœuvres de la flotte à Cherbourg et comme si la poste était là pour recevoir ses nouvelles toutes fraiches.
Voilà, j’espère, un journaliste !
Le ministère de l’Instruction publique lui a bien confié une mission, mais la vraie mission que M. Boussenard s’est donnée, c’est son reportage. La gloire de Stanley — je ne dis pas M. Stanley — l’empêche de dormir. Notre Français voyagera à pied et en canot. Il compte faire environ vingt kilomètres par jour, si la fièvre ne l’arrête pas en chemin. Elle est souvent du voyage. Il sera accompagné de cinq nègres bons, esclaves fugitifs du Brésil, réputés pour leur fidélité, et qui sont particulièrement dévoués aux Français. Un chasseur indien suivra, en outre, l’expédition comme pourvoyeur de viande fraîche. Au besoin, M. Boussenard aurait son déjeuner dans son fusil. Une charge de poudre n’est pas une affaire. Après la chasse, le relevé de la position du campement et le repas, le reporter rédigera sa copie, un peu partout, au hasard des marches, comme dans un simple bureau de rédaction, se composant même ce bureau à grands coups de sabre d’abatage dans les lianes. Puis, par tous les paquebots, ce reporter modèle comparable à celui que va mettre en scène M. Jules Verne dans son drame de Michel Strogoff49 — enverra, se trouvât-il à trente ou quarante journées de marche de Cayenne, sa copie au Journal des voyages. Un nègre sera toujours en route, emportant les pages, manuscrites, et rapportera les lettres et les journaux expédiés d’Europe.
Et que leur donne-t-on, à ces commissionnaires à peau noire qui, s’ils ne portent point la copie traînent sur leur dos vingt-cinq kilogrammes de tentes, munitions, vêtements ou provisions ? Un peu d’argent et des marchandises, du tabac, du tafia, de la poudre et un fusil. Mais il est essentiel que le canon du fusil soit démesuré. Le nègre n’aurait pas confiance en une petite carabine ou en un fusil Lefaucheux50 à deux coups. Le moukhala arabe, long et grêle, lui paraît atteindre plus sûrement le gibier ou l’ennemi.
Bon voyage à ce jeune homme inconnu qui, de là-bas, reviendra peut-être célèbre !
C’est un audacieux, ce qui est certain, las de répéter les mêmes redites et de se traîner dans l’ornière de tous les débutants ! Qui sait s’il ne rencontrera pas la gloire au bord d’un marais de la Guyane ? Cela vaut mieux que de ramasser, l’argent dans un égout de Paris.
Et puis, il aura peut-être inventé la Guyane. Cette semaine, quelques journaux ont bien découvert le Canada, absolument comme Alexandre Dumas père avait découvert la Méditerranée ! C’est M. Fréchette51 et ses Poésies canadiennes qui nous valent cela, fort heureusement.
Trois statues de Tours
En attendant52, et comme pour faire honte aux pornographes d’aujourd’hui — qui appuient terriblement, hélas ! — on inaugure une statue de Rabelais à Tours53.

Rabelais à Tours, représenté en curé de Meudon
À Tours ! Ce n’est pourtant pas à Tours, c’est à Chinon qu’est né Rabelais ; mais le grand Tourangeau méritait bien d’avoir deux statues en ce clair pays de Touraine. Il en a une à Tours, qui le représente debout ; il en aura une autre, l’an prochain, à Chinon, qui le montrera assis54. Dans la magistrature exercée sur l’esprit humain, Maître Francois a été tour à tour un juge debout et assis des ridicules et des injustices, un juge jugeant les chats fourrés et les chattemites.

Rabelais à Chinon, représenté en médecin
Il est très populaire en son pays. La double souscription aux deux statues de Tours et de Chinon a été rapidement couverte. Rabelais est d’ailleurs prophète hors de la Touraine, et le Rabelais Club, qui vient de se former à Londres, témoigne que les Anglais comprennent l’auteur de Pantagruel, celui que Bacon55 appelait le grand railleur, the great gester « le grand railleur de France. »

Descartes à Tours
Tours avait sa statue de Descartes56 ; il a voulu avoir sa statue du « savant et gentil Rabelais », comme disait Guillaume Budé57, qui l’appelait Rabelœzus.
Ce n’est point le médecin, « l’honneur de la médecine, qui peut rappeler les morts des portes du tombeau et les rendre à la lumière58, » qu’on célèbre en lui élevant des statues, c’est le combattant de la pensée libre et le précurseur de notre société moderne. Chinon et Tours se sont disputés l’honneur de dresser son image sur un socle. Montpellier eût pu faire de même. La ville de Metz lui pourrait aussi élever une statue, après Tours et Chinon, car il y séjourna et il y exerça la médecine. M. Charles Abel59 a publié, en 1869, dans les Mémoires de l’Académie de Metz, un très curieux travail sur Rabelais, médecin stipendié de la cité de Metz. On trouve dans un extrait des comptes de la ville messine une note sur les gages payés à « M. Rabellet ».
L’auteur de la statue debout élevée à Tours, M. Demaige, qui n’était guère connu que par des bronzes de commerce, des groupes et des figures exécutés pour les marchands, a fait, avec Rabelais, une œuvre remarquable, qui lui valait une médaille au dernier Salon. Peut-être son Rabelais a-t-il le rire un peu trop gros ; c’est le Rabelais de la légende, l’épique goulu que nous avons là, ce n’est point le penseur qui, de son vivant, ne ressemblait guère au ventru dont on nous a tant parlé !

Le « rire un peu trop gros » du Rabelais de Tours
Un certain Gabriel de Puits-Herbaut, moine de Fontevrault, le traita, pour la première fois, dans un pamphlet contre les « mauvais livres », de buveur, cynique, glouton. — La caricature a prévalu sur le portrait60. C’est qu’aussi bien la poésie s’en est mêlée. Ronsard, abandonnant l’ode et l’élégie pour la satire, barbouilla, à son tour, un portrait de Rabelais comme avec de la purée septembrale61 délayée sur sa palette.
Ce Rabelais que Ronsard, qui ne l’aimait point, représente demi-nu, les manches retroussées, à plat couché dans l’herbe, l’été, parmi les piots et les écuelles grasses, et comme gavé de cervelas et de jambon :
Il les aime mieux que les lis,
Tant soient-ils fraîchement cueillis,
ce Rabelais, qui deviendra le Rabelais de la légende et le fera surnommer plus tard par Lamartine, fort peu Gaulois en ses admirations, le boueux de l’humanité62, le voici tel que le poète le lègue à la postérité, laquelle aime mieux les charges que les miniatures :
Si d’un mort pourri qui repose
Nature engendre quelque chose
Et si la régénération
Se fait de la corruption,
Une vigne prendra naissance
De l’estomac et de la pance
Du bon Rabelais qui buvoit
Toujours, ce pendant qu’il vivoit ;
Car d’un seul trait sa grande gueule
Eust plus beu de vin toute seule,
L’épuisant du nez en deux coups,
Qu’un porc qui hume du laict doux63 !
Nous aimons mieux voir dans Rabelais le gentil et docte personnage qui ne détestait ni la chère ni la vendange, mais n’était point le gros entripaillé dont parlait le moine, et, après le moine, le poète :
Ce docte Rabelais qui piquait
Les plus piquans64…
a donc sa statue à Tours, et il y a eu foule pour la saluer, acclamer son image. La revue qui a suivi et la fête des drapeaux, avouons-le, y étaient bien pour quelque chose.
Ainsi maintenant, à Tours, et comme échangeant leurs pensées, Descartes et Rabelais se dressent sur leurs socles de pierre. L’un songe, l’autre sourit. Le cogito, ergo sum, répond au pour ce que rire est le propre de l’homme. La maison de Balzac n’est pas loin65. — Honoré de Balzac, l’autre grand Tourangeau qui aura bientôt — qui devrait avoir à Tours — sa statue66. Je me rappelle avoir rêvé, tout un soir, devant ce Descartes, à l’heure de la retraite. Les chansons lointaines m’arrivent encore par le souvenir. Ce sont des Tourangeaux qui passent. Puis des bruits de sabre. Ce sont peut-être des soldats qui rentrent, quoique pas une seule permission de nuit ne leur ait été accordée.
L’armée et le lettré — le grand railleur éternel qui fait la lumière et l’humble troupier qui défend le pays : François Rabelais et le fils de Jacques Bonhomme67, c’est pourtant cela qui est la France !…
La littérature canadienne68
La France ! Elle est partout où notre esprit français subsiste et où l’âme française demeure, et M. Fréchette et ses Poésies canadiennes nous l’ont bien montré !
Il y avait dans un coin de la grande exposition de 1878 tout un coin spécial et bien français dans l’admirable exhibition du Canada. C’était le coin de la librairie, le coin des poètes, pourrait-on dire comme en parlant de Westminster69. Que d’ouvrages à lire, écrits dans notre langue par des Canadiens, et publiés à Montréal, à Québec, à Lévis ! Il avait des journaux hebdomadaires avec gravures, comparables à l’Illustration, des revues, la Revue de Montréal, de gros ouvrages de littérature et d’histoire. Il y avait jusqu’à un journal de caricatures qui prouvait que la charge, cette plaisanterie bien française, est fort joliment enlevée par les dessinateurs de la Nouvelle France. On regarda fort peu ce coin particulier, qui était loin du centre, loin du passant, et qui avait l’air bien sérieux.
Moi seul, peut-être, m’en occupai, et je reçus alors du Canada toute une caisse d’ouvrages remarquables, une bibliothèque véritable, que l’administration gouvernementale même du Canada m’expédiait, grâce justement à M. Fréchette, l’homme du jour à Paris, pendant quelques jours, et à M. Faucher de Saint-Maurice70, un véritable écrivain français du Canada.
C’est là que j’ai pu voir combien était là-bas vivace, ardent, fidèle, l’amour de cette France qu’ils appellent encore la patrie, et qu’ils aiment tant, que le fils de la reine Victoria est forcé de la louer devant eux, dans ses discours officiels, et que tel livre de classes, l’Histoire du Canada pour les enfants à l’usage des écoles élémentaires, par un Anglais, M. Henry Miles, est contraint, en parlant à ces petits de l’Angleterre et de la France, de les nommer les deux mères patries !
Les deux mères patries ! Il y a déjà plus d’un siècle et demi que le Canada a été cédé, et les Canadiens appellent toujours la France leur mère !
Le Drapeau de Carillon
Ils ont un poète, Crémazie, qui a écrit un poème admirable, le Drapeau de Carillon, — Carillon, victoire héroïque, gagnée par nos aïeux au bout du monde, et dont le nom nous est presque inconnu !
Dans ces vers, le poète Crémazie raconte que le drapeau français qui flottait à Carillon est conservé pieusement par un vieux soldat de Montcalm, au fond d’une chaumière où, en secret, la nuit, les vieux Canadiens conquis vont, le soir, le toucher, en parlant de Montcalm, le marquis, le vaincu, et de Lévis, le victorieux !
Un jour, le vieux soldat de Carillon se sent enflammé d’une idée sublime, et qui lui paraît toute simple. Il roulera ce drapeau sauvé des mains anglaises sur sa poitrine et, quittant le Saint-Laurent, il ira à Versailles le porter au roi en lui disant :
— Sire, voilà revenu en France notre drapeau criblé de balles et fleur de lys d’or !
Et le soldat s’en va.
Il débarque à Saint-Malo. Il fait à pied la route de Versailles. Il arrive dans la grande cité solennelle. Quel est ce bonhomme bronzé, cassé, poudreux ?
— Je veux voir le roi !
On lui rit au nez.
— Je veux voir le roi ! J’ai à lui remettre le drapeau de Carillon ! Le drapeau du Canada !
Carillon ! le Canada ! Ah ! Sa Majesté a bien autre chose à faire ! Louis XV soupe ce soir avec la Dubarry71. Il se moque bien du drapeau de Montcalm ; il s’est bien moqué de Dupleix72, aux Indes !
Après de vains efforts, ne pouvant voir son roi,
Le pauvre Canadien perdit toute espérance.
Seuls, quelques vieux soldats des jours de Fontenoi
En pleurant avec lui consolaient sa souffrance.
Ayant bu jusqu’au bout la coupe de douleur,
Enfin il s’éloigna de la France adorée !
Trompé dans son espoir, brisé par le malheur,
Qui dira les tourments de son âme navrée ?
Il revient au pays.
Il ment aux compagnons. Il ne leur dit pas qu’on les oublie ; que le Bourbon peut dormir, maintenant que le Canada et ses arpents de neige ne le préoccupent plus.
Il leur dit :
— Les soldats français reviendront. Ils reviendront et Montcalm sera vengé !
Et il meurt, une nuit, sur la neige blanche, avec son drapeau blanc pour linceul.
⁂
On sait par cœur ces vers de Crémazie, à Québec et à Montréal.
Ne dites pas que ce sont là de vieilles histoires. Le Canada de Louis XV, c’est l’Alsace-Lorraine du siècle dernier.
Jules Claretie
Notes
1 Henry Samuel Tanner (1831-1918), médecin américain partisan du jeûne, et mort à 87 ans. Ce neuf août 1880, H. S. Tanner 49 ans, effectue un jeûne depuis le 28 juin, soit 42 jours. Ce jeune durera en tout quatre-vingts jours.
2 Ce mot, parfaitement tombé dans l’oubli, vient de l’anglais to Puff : « souffler, émettre brusquement un souffle d’air » : « Publicité mensongère ou outrancière, tromperie de charlatan. » (TLFi) Le puff a donné le verbe Puffer : « Faire de la publicité, vanter de façon exagérée » (TLFi) un éditeur « puffera » un auteur (Mérimée). Paul Léautaud a souvent parlé de puffisme : « Qu’il me tombe sous la main, ce [Catulle] Mendès, le plus bel exemple de chiqué littéraire, d’imitation, de démarquage, de faux art. Le triomphe de l’échec, l’apothéose du puffisme. »
3 Jules Grévy, Président de la République et Léon Gambetta, président du Sénat, tous deux depuis janvier 1879. Les détails du voyage occupent évidemment une grande place dans les journaux, dont ce numéro du Temps du dix août 1880.
4 Edmond Turquet (1836-1914) est, depuis février 1879, sous-secrétaire d’État au ministère de l’Instruction publique chargé spécialement de la direction des beaux-arts. Il sera élu cinq fois député de l’Aisne entre 1871 et 1889.
5 Ambroise Thomas (1811-1896) compositeur d’opéras presque tous tombés en désuétude, à la musique facile, oubliée le lendemain. Professeur de composition au Conservatoire de Paris en 1856, Ambroise Thomas en est devenu le directeur en 1871.
6 On pourrait presque dire la même chose de Jules Massenet (1842-1912), surtout connu pour Manon, opéra-comique en cinq actes, d’une musique assez vulgaire mais populaire, sur un livret d’Henri Meilhac et Philippe Gille, d’après le roman d’Antoine-François Prévost. La création se tiendra à l’Opéra-Comique en janvier 1884. Jules Massenet a été nommé chevalier de la légion d’Honneur en juillet 1876. Il a été promu officier le 31 décembre 1887 et élevé à la dignité de Grand officier le quatorze décembre 1900.

Signature de Jules Massenet sur une lettre de recommandation adressée au grand chancelier de la légion d’Honneur au profit du ténor Edmond Clément (1867-1928), datée du 25 mars 1920
7 Le Roi de Lahore, opéra en cinq actes de Jules Massenet sur un livret de Louis Gallet, créé à l’Opéra de Paris au printemps 1877. À cette époque, Lahore est encore une ville Indienne, avant la fondation du Pakistan en 1947.
8 Jules Claretie imagine ce dialogue mais il semble qu’il se méprenne. Jules Massenet portait effectivement un ruban violet, qui n’était pas celui des palmes académiques mais celui de l’ordre de Léopold (de Belgique).
9 Arrigo Boïto (1842-1918), bien que surtout connu en France comme compositeur, était davantage librettiste et aussi romancier et poète. Mefistofele, opéra en cinq actes (puis quatre) est le seul de ses livrets dont Arrigo Boïto composa entièrement la musique. Certains autres de ses livrets demeurent célèbres aujourd’hui, comme Simon Boccanegra, Othello et Falstaff, tous trois mis en musique par Giuseppe Verdi.
10 Adelina Patti (1843-1919), soprano colorature née à Madrid de parents italiens rapidement émigrés aux États-Unis a fait une carrière internationale.
11 Christine Nilsson (Kristina Törnerhjelm, 1843-1921), soprano suédoise très contemporaine et très concurrente d’Adelina Patti.
12 Hérodiade, sur un livret de Paul Milliet et Henri Grémont d’après un conte de Gustave Flaubert, sera d’abord créé en décembre 1881 au théâtre de la Monnaie de Bruxelles dans une version en trois actes et cinq tableaux, puis dans une version italienne en février 1882 à la Scala de Milan, puis enfin dans une version française rallongée à quatre actes, à Nantes en mars 1883. Ce dernier remaniement est demeuré la version de référence encore aujourd’hui.
13 Antonius Pingard, (1797-1885), « agent spécial et chef du secrétariat » de l’Institut, aussi chargé des archives et de la comptabilité, est resté en poste de 1840 à sa mort. De par ses fonctions, Antonius Pingard était nécessairement en relations avec nombres d’hommes de lettres et personnages illustres qui l’ont parfois évoqué dans leurs correspondances ou leurs souvenirs. L’exemple le plus connu est celui d’Edmond de Goncourt qui, dans son Journal au 11 février (ou 18, selon les éditions) 1875 donne ce portrait original d’Antonius Pingard : « Je n’ai jamais assisté à une séance de réception à l’Académie, et je suis curieux de voir de mes yeux, d’entendre de mes oreilles, cette chinoiserie. / On m’a donné un billet, et ce matin, après déjeuner, nous partons, la princesse, Mlle de Galbois, Benedetti, le général Chauchard, et moi, pour l’Institut. / Ces fêtes de l’intelligence sont assez mal organisées, et par un froid très vif, on fait queue, un long temps, entre des sergents de ville maussades, et des troubades étonnés de la bousculade entre les belles dames à équipages et des messieurs à rosettes d’officiers. / Enfin nous sommes à la porte. Apparaît un maître d’hôtel. Non, c’est l’illustre Pingard, une célébrité parisienne qui doit une partie de sa notoriété à sa gnognonnerie, un homme tout en noir, avec des dents recourbées en défense, et un rognonement de bouledogue érupé. Il nous fait entrer dans un vestibule, orné de statues de grands hommes, ayant l’air très ennuyé de leur représentation en un marbre trop académique, disparaît un moment, et puis reparaît, et gourmande durement la princesse — qu’il feint de ne pas reconnaître — pour avoir dépassé une certaine ligne du pavé. »
14 Ce n’est pas le vice, qui est un hommage à la vertu, mais l’hypocrisie, selon François de La Rochefoucauld (1613-1680), Réflexions et sentences ou maximes morales, chez Claude Barbin 1665 : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu » (maxime 218). Cette maxime est au cœur de la pensée de François de La Rochefoucauld, pensée dévoilée par une maxime postérieure dans le même ouvrage (409) : « Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent ».
15 Eugène Sue, Atar-Gull, chez Charles Vimont 1831, 398 pages. Atar-Gull est un esclave cherchant à se venger d’un maître pourtant bon et qui ne « donne que la moitié des coups de fouets » réglementaires. Atar-Gull fait périr la famille de son maître, qui devient paralytique puis lui avoue que c’est par lui, Atar-Gull, que ses malheurs sont arrivés. Sa vengeance sera de se montrer à lui tous les jours, donnant à l’extérieur l’apparence de la miséricorde pour ce vieillard. À la fin du roman, Atar-Gull reçoit le prix de vertu de l’Académie française.
16 Il y a cinq jours, le cinq août, Victorien Sardou, directeur de l’Académie française, a prononcé le discours sur les prix de vertu, attribués à onze auteurs.
17 Camille Doucet (1812-1895), poète et auteur dramatique, directeur général de l’administration des théâtres en 1863. Élu à l’Académie française en 1865, secrétaire perpétuel à partir de 1876.
18 Le fragment de phrase et Sarah Bernhardt sera bientôt en Amérique est absent de l’édition Havard et remplace la suite du paragraphe.
19 Alexandre Dumas (fils), Le Demi-Monde, comédie en cinq actes créée au théâtre du Gymnase en mars 1855. Le texte de la pièce est paru la même année chez Michel Lévy (162 pages).
20 Philippe Gille (1830-1901), journaliste et librettiste, surtout connu encore de nos jours pour ses livrets de Lakmé (Léo Delibes) et de la Manon de Jules Massenet, rapidement évoquée note 6. Philippe Gille sera encore évoqué ci-dessous note 36 à propos de Jean de Nivelle, opéra sur une musique de Léo Delibes.
21 Ce projet n’aboutira pas.
22 Juliette Bilbaut-Vauchelet (Juliette Bilbaut 1855-1924) soprano.
23 Ces huit derniers mots, en bas de page, à peine distinguables dans le scan de la BNF ont été absolument interprétés, sans certitude aucune.

24 George Sand, La Petite Fadette, Méline, Cans et cie à Bruxelles, un volume de 199 pages, puis Michel Lévy, automne 1849, 258 pages en deux tomes.
25 La Petite fadette, comédie-vaudeville en deux actes tirée du roman de Georges Sand (avec un s fautif), par MM Anicet Bourgeois et Ch. Lafont, printemps 1850.

26 Pour Marguerite Thuillier (1824-1885), voir le chapitre qui lui est réservé dans La Vie à Paris du vingt avril 1880.
27 Du fait de la récriture du texte, d’une part, et de l’ajout de musique de Lafont, l’œuvre est devenue une « œuvre collective » et appartient donc à cette collectivité. L’entrée dans le domaine public de cette œuvre est subordonnée à la mort la plus tardive de chacun des co-auteurs.
28 Hernani, opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave, créé au Teatro La Fenice, de Venise au printemps 1844.
29 Victor Schœlcher (1804-1893), journaliste et homme politique surtout connu de nos jours pour avoir œuvré en faveur de l’abolition de l’esclavage.
30 Auguste Vacquerie (1819-1895), poète et auteur dramatique. Auguste Vacquerie est le frère cadet de Charles Vacquerie (1817-1843), malheureux époux de Léopoldine Hugo, mort noyé en tentant de la sauver.
31 Comme les Coislin, les Ségur sont nombreux et l’on en compte trois de chaque à l’Académie française.
32 Louise Théo (Anne-Louise Picolo, 1850-1922), artiste lyrique.
33 Angelo De Gubernatis (1840-1913), historien de la littérature et auteur dramatique italien, exact contemporain de Jules Claretie signalé ici pour son Dictionnaire international des écrivains du jour, paru en français à Florence chez Louis Niccolai en 1888-1890 (trois volumes).
34 Harriet Beecher Stowe (1811-1896), romancière et journaliste américaine surtout connue pour son roman La Case de l’oncle Tom, paru en 1852 et traduit immédiatement en français par Émile de La Bédollière pour Jean-Nicolas Barba.
35 Sébastien Joseph du Cambout de Pontchâteau (1634-1690) est bien moins connu que son père, Henri-Charles de Coislin (1665-1732), premier aumônier du roi et protecteur des Lettres, élu à l’Académie française en 1710.
36 Jean de Nivelle, opéra en trois actes d’Edmond Gondinet et Philippe Gille sur une musique de Léo Delibes créé au printemps 1880 à l’Opéra-Comique. Jean de Nivelle (1422-1477), également connu sous le nom de Jean III de Montmorency-Nevele (ou Nivelle). On peut le considérer comme le saint patron des déserteurs.
37 Léo Delibes (1836-1891), compositeur français célèbre en son temps dont il reste de nos jours, régulièrement repris, voir à la mode, son célèbre Lakmé déjà évoqué note 20.
38 Dans les guerres, les soldats étaient abreuvés d’alcool avant de partir au combat.
39 Il s’agit de l’orangerie du château de Versailles. Ainsi que l’expose Jules Claretie, les « communards » étaient en nombre avant même la fin de la guerre et plusieurs dizaines de milliers, en attendant d’être jugés par les conseils de guerre, étaient retenus prisonniers, dont 1 500 à l’orangerie de Versailles, dans des conditions inhumaines.
40 Le Temps du 18 juillet 1880, page deux, « Au jour le jour : Assassinat d’un gardien de la paix » L’affaire ne s’est pas produite « dans un faubourg de Paris » mais en son centre, rue d’Aboukir.
41 Roxin, selon Le Temps du 18 juillet.
42 Félix de Vandenesse est un personnage de La Comédie humaine que certains observateurs ont jugé autobiographique.
43 La Galerie de bois est construite en 1786, pour séparer la cour du Palais-Royal et le jardin. Elle constitue le quatrième côté du quadrilatère. Provisoire, la Galerie de bois s’apparente à un vaste hangar de planches, de 2 250 mètres carrés (soit un carré de près de cinquante mètres de côté). Elle est composée de deux galeries bordées de quatre rangées de boutiques, qui en font l’ancêtre des passages couverts. Elle n’est pas éclairée par une verrière mais par des fenêtres ouvertes sous le débord de la toiture, ce qui permet un éclairage semi-zénithal. Ce lieu a longtemps été critiqué pour ses multiples commerces. Cette galerie sera détruite quarante ans plus tard et remplacée par la galerie d’Orléans. Source : BNF.

44 Pour Mademoiselle Mars, lire le chapitre qui lui est réservé dans La Vie à Paris du dix février 1880 : « La Couronne de mademoiselle Mars ».
45 Tout le texte ci-après, concernant cette expédition en Guyane, est absent de l’édition Havard.
46 Henry Morton Stanley (John Rowlands, 1841–1904), journaliste et explorateur anglais, surtout connu pour être parti à la recherche de son aîné et compatriote l’explorateur David Livingstone (1813-1873).
47 Paul Soleillet (1842-1886) explorateur français mort à Aden, en mission pour le compte du gouvernement français.
48 Louis Boussenard (1847-1910), auteur de romans d’aventures. Le Tour du monde d’un gamin de Paris comprenant trois volumes au moins : Les Mangeurs d’hommes, Les Bandits de la mer et Le Vaisseau de proie.
49 Le roman de Jules Verne est paru en janvier 1876 chez Hetzel en deux tomes, enrichis, dès cette première édition, de dessins de Jules Férat, gravés par Charles Barbant. Le spectacle tiré du roman sera représenté sur le théâtre du Châtelet en novembre prochain et joué sans discontinuer tous les soirs et matinées le dimanche pendant une année entière.
50 Les fusils de chasse Lefaucheux ont été, dès 1832, les premiers fusils de chasse « à brisure », que l’on pouvait ainsi charger par l’arrière, sans qu’il soit nécessaire de se tenir debout.
51 Le portrait de Louis Fréchette, avec illustration, a été donné dans la chronique précédente. Les suppressions de fragments du texte du Temps — évidemment maintenus ici — pour l’édition Havard font que cette introduction au texte sur le Canada est un peu orpheline d’un texte qui viendra un peu plus bas.
52 Le texte du Temps enchaîne directement la Guyane et le Canada. Ce texte sur Rabelais, absent du Temps et provenant peut-être d’une chronique, a été rajouté pour l’édition Havard.
53 Comme pour tout monument public, cette statue a fait l’objet d’un concours. Au cours de l’hiver 1878 près de cent projets ont été présentés à l’École des Beaux-Arts de Paris(!). Le maire de Tours et deux adjoints ont néanmoins été acceptés par le jury. Le marbre, sculpté à Paris par Henri Dumaige (1830-1888) a été inauguré le 25 juillet sur la place de l’hôtel de ville.
54 Cette statue en bronze est d’Émile Hébert (1828-1893). Elle sera inaugurée en juin 1882. On ne confondra pas Émile Hébert avec son père, Pierre Hébert (1804-1869), lui aussi auteur de nombreuses œuvres officielles présentes dans l’espace public.
55 Francis Bacon (1561-1626), philosophe anglais.
56 La statue de Rabelais de Tours avait été prévue en pendant de la statue de Descartes, que l’on doit au sculpteur Émilien de Nieuwerkerke (1811-1892). Elle a été inaugurée en 1852 face à la préfecture d’Indre-et-Loire, puis installée à l’ouest de cette grande place Anatole France de Tours (qui ne portait évidemment pas ce nom à l’époque), la statue de Rabelais étant plein est.
57 Guillaume Budé (1467-1540).

Statue de Guillaume Budé à l’entrée du Collège de France, par Maximilien Louis Bourgeois (1839 1901)
58 Dans la préface à son édition de Gargantua et Pantagruel, l’historien Henri Clouzot (1865-1941) dresse en une vingtaine de pages, une Vie de Rabelais : « Quand il rentra en France, il emportait une absolution du pape Paul III, conçue dans les termes les plus honorables, avec permission de pratiquer librement l’art de la médecine, et de reprendre l’habit de Saint-Benoît dans un monastère de l’ordre autre que celui de Maillezais. / Cette clause visait l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés, dont Jean du Bellay était abbé, et où il offrit asile à son protégé, sous une règle religieuse d’autant moins sévère que le monastère, venant d’être érigé en collégiale, maître François devint chanoine prébendé. / Il est à croire qu’il passa quelque temps dans “ce paradis de salubrité, aménité, sérénité, commodité, délices et tous honnêtes plaisirs d’agriculture et de vie champêtre”. Au moins le trouve-t-on à Paris, en février 1537, parmi les convives d’un banquet offert à Étienne Dolet, qui venait d’être gracié d’une accusation de meurtre. Les bienfaits du cardinal l’ont mis en vue. Il prend place aux côtés de Budé, de Marot et des plus renommés humanistes. On le traite d’honneur de la médecine. On va jusqu’à dire qu’il peut “rappeler les morts des portes du tombeau et les rendre à la lumière”. Son habileté dans ses missions d’Italie lui a valu le titre envié de maître des requêtes. »
59 Charles Abel (1824-1894), Académie de Metz — Compte rendu des travaux de l’année 1871-1872.
60 Lire, à ce propos l’article de Fernand Brunetière dans la Revue des deux mondes du premier août 1900 : « Sa légende a précédé sa mort. Il était encore vivant, et bien vivant, quand un de ses ennemis, le moine Gabriel de Puits-Herbaut […] le représentait déjà sous des traits analogues à ceux de ses personnages, de son Panurge ou de son frère Jean des Entommeures. On l’y voyait “se ruant en cuisine” ou “dressant équipage de navires pour s’en aller consulter l’oracle de la Dive bouteille”… »
61 Vin, ou ici, lie de vin.
62 Dans Le Constitutionnel du quinze novembre 1865, dans le feuilleton d’Alphonse de Lamartine « Vie de Lord Byron » au bas de la une (bas de la cinquième colonne) :

Il est évident que Jules Claretie ne peut se souvenir, en 1880, de ce feuilleton de Lamartine paru il y a quinze ans (du 26 septembre au deux décembre) mais se réfère à une publication en volume plus récente
63 Pierre de Ronsard, Le Bocage de P. de Ronsard, Vandomoys, dédié à P. de Paschal, du bas païs de Languedoc, chez la veuve Maurice de la Porte, au cloz Bruneau, à l’enseigne Sainct Claude. Avec privilège du Roy, 1554.
64 Cette autre épitaphe, de 1553 est du poète Jacques Tahureau (1527-1555, mort à 28 ans), reproduite ici entièrement : « Ce docte nez Rabelays, qui picquoyt / Les plus piquans, dort sous la laine icy, / Et de ceux même en mourant se moquoyt / Qui de sa mort prenoyent quelque souci. »
65 Cette « maison » de Balzac est abritée dans le château de Saché, à 25 kilomètres au sud-ouest de Tours. Honoré de Balzac est né à Tours en mai 1899 et, jeune adulte a parfois séjourné dans ce château, invité par son propriétaire, Jean de Margonne. Ce musée, parfaitement artificiel mais où tout est reconstitué avec soin, est ouvert depuis 1951.
66 Cette statue en bronze, d’une laideur accomplie, de Paul Fournier (1859-1925) sera dressée place du Palais en novembre 1889 en présence d’un autre Fournier, Alfred (1843-1898), maire de Tours. Elle sera fondue en 1942 par le régime de Vichy au profit des Allemands.
67 Jacques Bonhomme représente, depuis le XIIIe siècle la figure de l’homme du peuple exploité.
68 Après cette partie sur les statues de Tours provenant du volume Havard, nous revenons au texte du Temps. Il est préférable, avant d’entamer ce chapitre, d’avoir lu le chapitre « Louis Fréchette » de la dernière chronique « La séance à l’Académie ».
69 Le Coin des Poètes (en anglais Poets’ Corner) est une section du transept sud de l’abbaye de Westminster où sont ensevelis ou représentés nombre de poètes et hommes de lettres.
70 Narcisse-Henri-Édouard Faucher de Saint-Maurice (1844-1897).
71 Madame du Barry (Jeanne Bécu, 1743-1793, guillotinée), dernière favorite de Louis XV de 1768 à 1774.
72 Joseph François Dupleix (1697-1763), gouverneur de Pondichéry et commandant général des établissements français de l’Inde, mort ans l’oubli.
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