(L’hébergeur, plein de qualités, ne permet néanmoins pas les italiques dans les titres, d’où Le Temps entre guillemets.)
C’était un temps où ni la télévision, ni la radio, ni même le cinéma n’existaient. En-dehors du théâtre, alors particulièrement florissant, les loisirs culturels chez soi provenaient du graphophone, qui jouait des cylindres de vraiment mauvaise qualité mais que l’on trouvait excellente, et la lecture. Les journaux avaient quatre pages, autant dire qu’on les lisait entièrement. L’honnête homme était abonné à deux ou trois titres. Lorsqu’on avait fini de lire son journal dans la rue, on le laissait sur un banc ou sur la banquette de l’autobus. Il n’y restait pas longtemps. Paul Léautaud raconte quelque part qu’un passant lui a donné son journal en le croisant.
Avant ses articles de « La Vie à Paris », Jules Claretie en avait écrit de très nombreux autres, dans Le Temps. Ces articles paraissaient sous le titre « Chronique » et il n’est pas impossible que plusieurs rédacteurs se soient partagé la chronique. Si l’on remonte à l’immédiat après-guerre de 1870, le premier article intitulé Chronique date du 28 novembre 1871 et donne des nouvelles de ce qui se passe ici où là. « M. Valentin, préfet du Rhône est en ce moment à Versailles. » Jules Claretie encore jeune journaliste de 31 ans peut avoir écrit ces notes, mais aussi n’importe qui.
Huit jours plus tard, exactement, le six décembre 1871, paraît dans Le Temps la première « Chronique de Paris », pas davantage signée. Les nouvelles politiques laissent la place à un texte qui ressemble beaucoup à Jules Claretie, pour des chroniques écrites à la première personne. La dernière est parue le trois octobre 1872. Le lendemain quatre octobre la chronique n’est plus « de Paris » mais simplement « Chronique » : « J’ai passé la matinée à parcourir, à votre intention, un certain nombre de journaux des départements. Puisque par ces vacances lamentables1, Paris est plus ou moins réduit à l’état d’une ville de province de deuxième ordre, il faut bien se résigner de temps à autre à ce genre d’excursions. » Oh le mépris bien parisien de la province par ce jeune natif des environs de Limoges !
La publication des Chroniques de Jules Claretie, toujours non signées, se prolongera encore bien des années, jusqu’au trente décembre 1886. Plus d’un an après la fin de la première série (il y en aura une seconde) de La Vie à Paris, close le 22 octobre 1885, pour cause de nomination au poste d’Administrateur général de la Comédie-Française2.
Au printemps 1879, date des premiers articles de « La Vie à Paris », Le Temps avait dix-huit ans et se trouvait alors à l’entrée de la rue du Faubourg Montmartre, qui était le quartier des journaux, de part et d’autre du boulevard. Le numéro dix, un immeuble de sept fenêtres datant sans doute de l’époque, ne porte plus aucune trace de ce passage.
Gaspard de Cherville (1899-1998) aime la campagne comme les aiment ceux de son milieu : armés d’un fusil. À l’été 1861 il publie, on ne sait chez qui, Histoire d’un chien de chasse, nouvelle signée Marquis de Cherville annoncée dans Le Temps du douze août pour paraître en feuilleton à partir du dix janvier suivant. Puis ce sera Pauvres bêtes et pauvres gens (les gens passant évidemment en second puisque d’une race inférieure) du 17 janvier au 31 août 1867. Entretemps le marquis de Cherville est devenu plus simplement G. de Cherville dans le cours du feuilleton. Peut-être prévoit-il déjà la fin du second empire ?
Après une autre histoire de chien — on ne va pas les citer toutes — et une histoire de pendu ; surtout après une guerre piteuse, nous voilà en Troisième République. Notre Cherville, redevenu marquis on ne sait pourquoi, publie dans Le Temps du dix juillet 1871 le premier texte de son feuilleton « La Vie à la campagne », c’est où l’on voulait arriver.
Nous sommes un lundi et cette journée sera celle de ce feuilleton. Quatre numéros cette année, onze la suivante… Cette Vie à la campagne paraîtra huit années de suite jusqu’au lundi 24 novembre 1879, ce qui représente une quantité de chiens pas croyable. Trois semaines plus tard, le seize décembre 1879 paraît le premier texte du feuilleton de Jules Claretie La Vie à Paris, signée « Le Spectateur » les six premières semaines. C’est un mardi. Par souci de cohérence, la rédaction du Temps a décidé dans un premier temps que ses deux feuilletons « La Vie à… » paraîtraient le mardi en alternance. Pas tous les mardis et jamais ensemble.
Voilà l’histoire.
Pour être complet et avant d’oublier ce brave Cherville, sa dernière « Vie à la campagne » est parue dans Le temps du quinze avril 1898 (un vendredi). Le texte suivant portant son nom, le onze mai, sera sa nécrologie, après sa mort le dix mai… un mardi.
Notes
1 La Troisième République avait été proclamée deux ans auparavant, le quatre septembre 1870 mais beaucoup la contestaient encore. Les monarchistes étaient toujours très présents aux législatives divisés entre Bonapartistes, Orléanistes et Légitimistes. Ils représentaient ensemble 426 sièges sur 644 mais fort heureusement ne parvenaient pas à s’entendre. Ce n’est que dans six semaines, le treize novembre, qu’Adolphe Thiers (75 ans), élu Président de la République l’an dernier — ce qui ne peut évidemment satisfaire Jules Claretie —, prononcera un discours dans lequel il affirmera enfin son ralliement à la République.
2 La Vie à Paris sera reprise par Anatole France à partir du 21 mai 1886.
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