Annexe I — Annexe II — Annexe III — Annexe VI — Notes

Cette biographie de Jules Claretie est extraite de l’ouvrage d’Henri d’Alméras Avant la gloire, paru au printemps 1902 à la société française d’Imprimerie et de librairie. En un peu plus de trois-cents pages, la biographie de 27 auteurs y est donnée, des frères Goncourt à Willy… en passant par Jules Claretie. Ce livre ne contient pas de préface et c’est dommage, elle aurait renseigné sur la provenance de ces textes. Souvent ce genre d’ouvrages est un recueil d’articles parus dans les journaux.

Publicité parue en page quatre du Temps du 22 avril 1902.
Curieusement, seuls Jules Vallès, Jules Claretie et Georges Beaume ont droit à l’initiale de leur prénom.
Beaucoup plus concise que celle de Georges Grappe, la bibliographie de Jules Claretie par Henri d’Alméras est aussi bien plus riche, celle de Georges Grappe s’abandonnant à de nombreuses digressions nostalgiques, pas désagréables mais totalement hors de propos.
À la fin du mois d’août 1860, un jeune poète, fort peu connu, mais qui ne demandait qu’à l’être davantage, écrivait à Alfred de Vigny pour solliciter une audience. Il avait, disait-il dans sa lettre, l’intention de lui soumettre un poème destiné à un concours de l’Institut sur un sujet que le plaintif Millevoye1 ou Guiraud, père du Petit Savoyard2, auraient traité admirablement : La Sœur de Charité.
L’entrevue fut accordée, mais le débutant, trop modeste, trop respectueux des gloires consacrées, — ceci se passait il y a quarante ans, — s’excusa par une seconde lettre de retarder de quelques jours cette visite annoncée, attendue, et qui ne devait jamais être faite. Le 31 août, Alfred de Vigny écrivait au solliciteur qui exagérait ainsi le culte des grands écrivains, dont on s’est bien corrigé depuis : « Je vous conseille, Monsieur, de faire tous vos efforts pour vaincre votre excessive timidité. C’est à quoi peut-être l’éducation de l’armée est bonne aux jeunes gens de votre âge. Elle enseigne à entrer plus fermement dans la vie. Se présenter avec calme, consulter avec confiance, causer avec sincérité, quoi de plus simple et de plus digne d’estime ? Quand vous penserez que vous pouvez vous décider à cette entrevue avec moi, souvenez-vous alors que je serai prêt à vous être agréable. Je crois que vous n’y trouverez rien de terrible et que vous en sortirez rassuré pour toujours. »
Ce poète, timide, né à Limoges, le 3 décembre 1840, avait pour père un marchand de porcelaine qui était venu, en 1850, se fixer à Paris, rue Paradis-Poissonnière, no 8, et s’appelait Claretie. Ayant à choisir pour son fils entre les trois prénoms d’Arnaud, Arsène et Jules, il avait adopté très judicieusement le dernier.
Pour Jules Claretie comme pour bien d’autres littérateurs, la poésie ne devait être qu’une maladie inévitable, peu dangereuse et passagère. Il s’en guérit assez vite et ne s’exposa pas à une rechute. C’est pour la prose qu’il était né, et il eut le mérite de s’en apercevoir.
En 1860, à vingt ans, Jules Claretie avait déjà beaucoup écrit, mais dans des journaux d’autant plus accueillants qu’ils ne payaient pas leurs rédacteurs. Il était obligé, pour gagner sa vie, de tenir les livres chez un commissionnaire en marchandises et de faire par surcroît la correspondance en espagnol : ce qui lui fournit sans doute l’occasion d’apprendre cette langue.
Au collège Chaptal, il avait fondé un journal, L’Abeille, dont il était le directeur, l’administrateur, le rédacteur en chef, le copiste et l’administrateur, — et qui mourut d’ailleurs, d’une extinction d’abonnés, à son deuxième numéro. Pour remplacer la feuille si prématurément disparue, il envoyait des articles à des journaux d’une constitution un peu plus robuste. C’est ainsi que les Cinq Centimes illustrés, installés chez l’imprimeur Servière, rue Montmartre, 123, publièrent en 1857 : Le Rocher des Fiancés, chronique du temps des Croisades, par M. Arnold Lacretie. À la même époque paraissait son premier roman et dans des conditions curieuses. Il l’avait laissé enfermé dans sa case, au moment de partir en vacances. Le précieux manuscrit, intitulé : Les Secrets d’Exili, fut découvert par un des « pays chauds » qui étaient restés au collège et expédié dans l’Amérique du Sud. Voilà comment Les Secrets d’Exili furent publiés, en espagnol, dans un journal du Chili. Jules Claretie ne l’a jamais revu ni lu.
Jules Noriac3, Aurélien Scholl4 et Charles de Courcy5 avaient fondé une revue hebdomadaire, La Silhouette, dont le 1er numéro parut le 11 décembre 1859. Un article envoyé par Jules Claretie fut inséré. Lorsqu’il vint, quelques jours après, remercier Noriac, son compatriote, l’auteur du 101e régiment6 l’accueillit avec cette cordialité, un peu bourrue, qui était un des traits de son caractère : « Ne vous croyez pas arrivé, lui dit-il, parce que vous avez été imprimé tout vif. Fuyez les camarades, prenez une amie qui ne trompe jamais, la solitude. Et croyez qu’il y a plus d’inspiration vraie dans la fumée de la bréjaude de famille (soupe aux choux limousine) que dans toutes les théories de cafés et dans toutes les fièvres des coulisses !… Là-dessus, bonjour, venez me voir dans dix ans ».
Il existait alors, au no 30 de la rue Saint-Marc, un journal hebdomadaire, le Diogène (1er no, 10 mars 1860), ayant ses bureaux, au fond de la cour, sous un appentis vitré qui avait été un magasin de salaisons7-8. On y découvrait parfois, au fond d’une armoire, une boîte de sardines ou de thon mariné, oubliée par le précédent locataire, et ce jour-là la rédaction était sûre de pouvoir dîner.
Le directeur du journal était le fils d’un avoué, Louveau, transfuge du Gaulois, qui avait pris, pour ne pas déshonorer sa famille, le pseudonyme d’Eugène Varner, et qui est l’oncle de M. Samuel, directeur actuel des Variétés9. Les principaux rédacteurs étaient : Paul Mahalin10, Jules Lermina11, Koning12 et parfois Ponson du Terrail, que n’avait pas encore illustré et enrichi la mémorable création de Rocambole.
Jules Claretie avait envoyé au Diogène des fantaisies signées Jules de Lussan. Dans celle qui était intitulée : Le Fauteuil de Racine13, il louait très ingénieusement, à propos d’une élection académique, Michelet14, Quinet15, Théophile Gautier16, Jules Janin17, Proudhon18, etc., que Racine, se réveillant d’un long sommeil, d’un sommeil de cent soixante ans, désignait lui-même comme candidats nécessaires. Flatté de cet éloge, quoiqu’il fût collectif, Janin écrivit au jeune journaliste : « Mon cher enfant, le proverbe dit qu’on n’aime pas son successeur ; il se trompe, car je vous aime beaucoup ».
Quelque temps après, une note parut dans le Diogène : « M. J. de L. est prié de passer au bureau du journal ». On insérait ses articles, expédiés par la poste, et on ne le connaissait pas. Il se présenta, fut très cordialement accueillit et devint un des collaborateurs les plus assidus. Il lui arriva même plus d’une fois de rédiger à lui tout seul, sous des signatures diverses, tout un numéro.
En cette même année 1860, qui marque ses véritables débuts, Jules Claretie collaborait à trois journaux qui comptent parmi les plus curieux de ce siècle et dont il devrait bien, un jour, nous raconter l’histoire héroï-comique.
L’École du Peuple19, revue hebdomadaire à tendances lamennaisiennes20, qui avait ses bureaux rue Gît-le-Cœur, no 10, était dirigée nominalement par Théodore Six21 et en réalité par un comité d’ouvriers et de gens de lettres. Pierre Vinçard22, Évariste Thévenin23, Assolant24, le romancier, Lachambaudie25, le fabuliste, remplissaient la revue d’éloges enthousiastes et périodiques des vertus populaires. Jules Claretie y écrivit, sur le modèle des Paroles d’un croyant26, des poèmes en prose : Le Bûcheron, Le Semeur, La Vigne, Le Blé, etc.27.
La Guerre d’Italie donnait chaque semaine, pour dix centimes, des récits militaires. Quelques rédacteurs étaient spécialement chargés de remanier — et au besoin de fabriquer — des lettres d’officiers et de soldats. C’est ainsi que Jules Claretie retoucha les « Lettres d’un officier d’artillerie », tué à Solferino.
Le Journal des Médaillés de l’Empire, créé par Gourdon de Genouillac28 — et dans lequel Jules Claretie donna des articles sur la campagne de Russie — paraissait tous les dimanches, depuis le 10 décembre 1860, avec cet avis aux lecteurs : « Tout médaillé de Sainte-Hélène, de la médaille militaire de Crimée, d’Italie, de Sauvetage, etc., peut réclamer l’insertion gratuite d’une notice biographique et recevoir le journal pendant un an, en envoyant aux bureaux du journal, 81, boulevard Montparnasse, à Paris, ses nom et prénoms, l’indication de ses états de service et la désignation de sa médaille, avec un mandat de 6 francs par la poste ». Six francs pour devenir un héros et passer à la postérité, ce n’était vraiment pas trop cher.
Si réellement, comme il l’affirme dans un de ses articles, l’administrateur actuel de la Comédie-Française est né paresseux, jamais vocation ne fut plus contrariée. « Ah ! jeune homme, lui avait dit, au début de sa carrière, Charles Monselet29, que de copie dans votre vie ! » On ne pouvait être meilleur prophète.
De 1860 à 1865, pas un journal ne se fonda où il n’ait eu, marquée d’avance et offerte, sa place de rédacteur. Il semblait indispensable et se rendait toujours utile. Il aimait passionnément son métier, ce qui est, en somme, le meilleur moyen d’y réussir. Il avait à un très haut degré les qualités — et peut-être aussi les défauts — du journaliste : la plume alerte, le style rapide et facile, l’habitude de parler de tout avec une autorité qui suppose la compétence ou en tient lieu, l’art d’exprimer de dix manières la même idée et de faire avec un événement sans intérêt un long article. Il y ajoutait, comme dons particuliers, un réel savoir, une admirable curiosité d’esprit, l’amour et la connaissance de tout ce qui intéresse Paris, la préoccupation de l’actualité et en même temps un goût très vif pour les curiosités littéraires et artistiques du passé.
Le même écrivain qui, sur un coin de table, entre deux lettres commerciales écrites à Rio de Janeiro ou à New-York, griffonnait une chronique, des romans ou des recueils de nouvelles : Une Drôlesse en 1862 ; les Ornières de la vie30, en 1863 ; le Dernier Baiser31, en 1861, s’occupait de théâtre, (il avait adressé à Marc Fournier32, directeur de la Porte-Saint-Martin, un drame en cinq actes intitulé les Ouvriers de Paris, écrit pour Dumaine33 et dont l’unique copie disparut en mai 1871 avec le théâtre de la Porte-Saint-Martin34) envoyait d’intéressantes notes à la Revue Anecdotique35, étudiait, dans des plaquettes destinées aux bibliophiles, la vie et l’œuvre d’écrivains oubliés, Élisa Mercœur36, Alphonse Rabbe37, Georges Farcy38, Pétrus Borel39.
D’ailleurs fort sympathique — on le lui a assez reproché — obligeant et cordial, prodigue de poignées de mains et de mots aimables et d’appréciations indulgentes, au milieu de ses « chers confrères » qui avaient élevé le débinage et la malveillance à la hauteur d’une institution. Quand ils parlaient de lui, l’épithète de « bon garçon » revenait comme un refrain.
Jules Claretie habitait à cette époque dans sa famille, rue Paradis-Poissonnière40, no 8. Une petite revue nous a laissé une description de cet appartement, qui n’était, à vrai dire, qu’une bibliothèque. Dans l’antichambre, dans le cabinet de travail, un encombrement de livres, de dossiers de journaux — surtout de journaux de 1848 ; dans le salon, un buste de Victor Hugo, un portrait de Camille Desmoulins et un portrait de Montaigne.
« Il avait, dit Maxime Rude, dans ses Confidences d’un journaliste41, le front en bosse, dont les cheveux plats sans épaisseur et plantés haut exagéraient encore les dimensions ; l’œil brun était inquiet, le nez un peu cassé comme par une chute donnait du pittoresque à la figure ; la bouche un peu mince, malgré l’épaisseur de la lèvre inférieure, dénotait des appétits d’amour-propre. »
Au mois d’avril 1866, le jeune journaliste suivait la campagne de l’Italie contre l’Autriche, en qualité de correspondant de l’Avenir National42. Il en profitait pour préparer un volume qui devait avoir pour titre « Des Alpes à l’Adriatique », et qui d’ailleurs ne parut pas, et chemin faisant, il envoyait à l’Illustration des croquis de voyage et même des dessins qui étaient, je crois, signés comme certains de ses articles à la Vie Parisienne, William. La nomenclature de ses pseudonymes, de 1860 à 1870 — Abnot, Nicolas Gentil, Robert Burat, Olivier de Jalin, M. de Cupidon, et même Caliban (lui aussi43), etc.,— serait aussi difficile à établir que celle des innombrables revues et journaux dans lesquels il écrivit.
La réputation littéraire de Jules Claretie était déjà à peu près consacrée, en 1868, et on le considérait avec raison comme le journaliste le plus complet de Paris. Un article sensationnel allait lui donner une notoriété politique.
Le 19 juillet 1868, il publiait dans son courrier de Paris, au Figaro, sous le pseudonyme de Candide, un véritable réquisitoire, très documenté, contre M. Pastoureau, préfet d’Indre-et-Loire44, qu’il accusait d’avoir fait fusiller deux fois, en 1852, alors qu’il était préfet du Var, Martin Bidouré. En ce temps-là où les moindres attaques contre le gouvernement étaient attendues, cueillies au vol, l’article du Figaro ne pouvait passer inaperçu45. M. Pastoureau se hâta de réclamer des poursuites et le 27 novembre 1868, le journaliste était condamné à 1 000 francs d’amende pour diffamation. On pense bien qu’il était condamné d’avance.
Ce procès ne fut pas inutile. Il contribua grandement au succès d’un livre, dont la vente jusqu’alors ne marchait guère, Paris en décembre 1851, par Eugène Ténot46, et, par suite, il fut la cause de la manifestation au tombeau de Baudin47 qui valut à Gambetta son premier, éclatant, historique succès. Léon Gambetta aimait à le rappeler.
Déjà le parti républicain s’organisait. Des journaux de bataille surgissaient un peu partout. Glais-Bizoin48 et Eugène Pelletan49 avaient fondé la Tribune50, dans laquelle Émile Zola donnait tous les huit jours des causeries. J’extrais d’une de ces causeries, pour terminer dignement cette étude, un fragment sur Claretie, propos du livre les Derniers Montagnards51, qui venait de paraître :
« M. Jules Claretie, un esprit ardent, dont le roman n’a pu contenter les ambitions généreuses et qui tente l’histoire après Michelet ; et encore, ai-je des craintes pour ce jeune talent en le voyant jeter au vent de la publicité des pages à peine sèches. Il est secoué, lui aussi, par la fièvre du temps et ses amis tremblent de le voir se noyer dans les banalités du journalisme. D’ailleurs il tient la tête de sa génération. »
Fort intéressant par lui-même, ce fragment devient d’une inappréciable saveur si on prend la peine de le comparer à celui que donnait Émile Zola en 1878, dans le Messager de l’Europe52-53, sur le même écrivain.
Ce rapprochement de deux appréciations si différentes formerait, au besoin, un chapitre assez amusant d’un livre qui ne manquerait pas d’intérêt et qu’on pourrait intituler : Les hommes de lettres peints les uns par les autres.
Annexe I
La Moissonneuse
Vieille chanson
Elle allait, leste, rieuse,
Curieuse,
Sous les rayons du soleil
Tout vermeil.
Elle allait, preste et coquette
Sans toilette,
Portant sa gerbe de blé
Rassemblé.
C’est alors qu’elle était belle,
La cruelle,
Égayant par sa chanson
La moisson.
Ah ! je crois encore entendre
Sa voix tendre —
Alors, j’étais un heureux
Amoureux.
Je vois encor sa faucille
Qui scintille.
Je vois encor ses beaux yeux,
Bleu des cieux.
Lorsqu’assise sur sa gerbe,
Ou sur l’herbe,
Elle prenait, pour se voir,
Son miroir.
Alors elle était la reine
Du domaine,
Chacun lui faisait la cour
Tour à tour.
……Mais on ne doit plus entendre
Sa voix tendre.
Ses refrains harmonieux
Et joyeux.
Pauvre fleur à peine éclose,
Pauvre rose,
Dieu donna tous tes appas
Au trépas.
C’est là-bas, au cimetière,
Sous la pierre,
Qu’elle repose, en saint lieu,
Priez Dieu !
Jules de Lussan
Annexe II
Le Fauteuil de Racine
Conte académique
I
Racine s’éveille.
Lundi dernier, Racine s’éveillant — (car la mort n’est pas, comme on l’a dit, un long sommeil — mais bien une seconde vie, ce qui n’est pas consolant.) — Racine donc, sonna son domestique — (ou si vous aimez la couleur locale — son valet) — et lui demanda les journaux du jour. Cinq minutes après, l’auteur d’Athalie prenait gravement connaissance de L’Opinion nationale du 10 juin de l’an de grâce 1861.
∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ Trois lignes de points. ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙ ∙
II
Racine ayant lu son journal, ce qui est clairement expliqué par les trois lignes ponctuées ci-dessus, se livre à un monologue plein d’anxiété.
Par Jupiter, dit-il en grattant furieusement sa perruque gigantesque, ne s’occupe-t-on point là-haut de me donner un successeur ? — Voilà déjà quatre mois que mon pauvre vieux fauteuil académique est inoccupé54, et — comme la nature — les fauteuils ont horreur du vide. Mais ils s’inquiètent bien, par ma foi, ces vivants, des affaires littéraires ! — Ceux-là seuls qui sollicitent une place parmi les quarante mortels immortels, attendent et souhaitent les élections prochaines. — Mais le public ? — mais la foule ? — Elle a les yeux fixés sur l’Italie55 et ne regarde pas autre chose. — Elle est sourde à tout ce qui n’est pas la voix du canon. Elle ne sent avec plaisir que l’odeur de la poudre. — Et c’est cependant chose grave que l’élection d’un membre de l’Académie Française ! — C’est une conquête aussi que celle d’un fauteuil à l’Institut. Pour moi, je suis tout inquiet depuis ces derniers temps — et je donnerais toute ma strophe des poissons se promenant dans les forêts56 — pour connaître enfin l’homme qui me succédera dans mon poste littéraire, et occupera, comme je l’ai occupé — le quatrième57 fauteuil.
III
Suite du monologue
Histoire d’un fauteuil
Pauvre fauteuil, dont les hôtes s’appellent Méziriac, La Mothe le Vayer58, Leriget de La Fage, Voisenon, Boisgelin, Dureau de la Malle !… Pauvre fauteuil illustré seulement par cinq personnes — je me compte — Crébillon, Picard, Arnault, et Scribe, si populaire et qu’on a tant décrié. Pauvre fauteuil ! — Ton voisin, le 9e(59) — voit Victor Hugo succéder à Corneille, aussi se frotte-t-il les bras ; après Racine, chez toi vient Valincourt et après Valincourt, la Faye60 ! — Pauvre fauteuil.
IV
Et qui nommera-t-on ?
Racine appela son valet. — Lisez son domestique, si vous n’aimez pas la couleur locale.
— Picard, dit-il, apporte-moi mon livre de notes.
Picard obéit.
N. B. Picard s’appelait Shaffausen — Racine, pour se contredire lui-même (il m’avait fait venir d’Amiens pour être suisse61) — l’avait fait venir de Berne pour être Picard. Autre N. B. Je vous demande pardon de toutes ces futilités — Je vais devenir très sérieux au chapitre V.
Après avoir parcouru son livre de notes, Racine s’arrêta et lut avec attention une certaine page qui contenait la liste, assez longue, des académiciens de l’avenir. Il hocha la tête, avança la lèvre inférieure, et s’arrêta indécis. —
Après un moment de réflexion, il s’écria tout haut :
— Et qui nommera-t-on ?
V
L’auteur devient sérieux
…La question était inutile. — Les noms inscrits sur le livre de notes, noms glorieux, noms étincelants, répondaient d’eux-mêmes. — Le livre disait :
— Michelet — Michelet, le grand magicien qui évoque et fait revivre toute l’histoire de notre France le peintre aux couleurs ineffaçables qui nous retrace avec tant de feu, tant de vigueur, tant de génie, les tableaux effacés des vieux âges, le poète inspiré qui dévoile à nos pauvres yeux les merveilles de l’insecte, « l’infini vivant62 » qui nous enlève, dans son vol radieux à la poursuite de l’oiseau — qui nous chante en des strophes sublimes les poèmes divins de la femme et de l’amour. — Edgar Quinet, disait le livre. — Edgar Quinet, cet autre enchanteur, le frère de Michelet par le génie, par l’âme, par le cœur — Edgar Quinet qui nous dit dans un livre désormais immortel — Merlin63 — les faiblesses et les grandeurs de l’âme humaine, Edgar Quinet, l’ami du progrès, l’ardent disciple de la liberté, le professeur au verbe éclatant — Edgar Quinet, toujours jeune, toujours grand — et qui nous fait battre le cœur — en nous parlant de son Ahasvérus64 de cette vieille Allemagne65 d’où nous est venu l’inspiration, de l’Italie, la grand’mère — et de la Grèce, dont le ciel toujours limpide se reflète si pur dans les eaux de l’Eurotas66, ombragées de lauriers roses.
Le livre disait encore :
Jules Janin — L’esprit, la grâce, l’aménité, l’enjouement, la science facile, la légèreté sérieuse, le rire charmant, la gaieté émue à la fois, — Sterne et Horace — Jules Janin.
Théophile Gautier — L’éclat, la couleur, le style flamboyant, la sève, — l’idée puissante recouverte par le mot magnifique, comme un marbre de Paros par une draperie de pourpre.
Dumas. — La causerie, la verve intarissable, un style vif, courant comme un fleuve, — un vrai Français, bavard, spirituel, toujours prêt à la saillie, — et sous ce causeur un dramaturge inspiré, un conteur inimitable, un inventeur, un créateur, un poète !
— Saintené, disait encore le livre, la philosophie enjouée. — Proudhon, la philosophie inspirée — Alphonse Karr67, nouveau Voltaire…
— Certes, dit Racine — ils n’hésiteront pas…
VI
Conclusion
De tout ce qui précède, lecteurs, il résulte que le fauteuil de Racine écherra à M. Camille Doucet68 à moins que ce ne soit à M. de Corné69 —Vous verrez bien !
Jules Claretie
Annexe III
Maxime Rude, Confidences d’un journaliste
Maxime Rude, Confidences d’un journaliste, Librairie André Sagnier 9, rue Vivienne, 1876.
Ainsi qu’il est d’usage dans cette catégorie d’ouvrages Maxime Rude décrit ses premières années de journaliste, ici au Figaro, avec d’intéressants portraits de ses collègues et d’Hyppolyte de Villemessant.
Après ces existences de combats, de dures victoires et de sinistres défaites, j’ai besoin de me rappeler le commencement d’une vie littéraire, calme et souriante, dont la suite a élargi le cours avec un rare bonheur.
C’est celle de Jules Claretie.
Claretie était presque imberbe quand nous nous sommes rencontrés au Figaro : à peine deux maigres pinceaux de poil au menton allongé et osseux. Je note ce détail, parce qu’il me confiait alors que la barbe était une de ses premières ambitions. La barbe lui est venue, — et pas seule : je crois que tous ses désirs de ce temps ont été, au moins, satisfaits. Il avait un front en bosse dont les cheveux plats, sans épaisseur et plantés haut, exagéraient encore les dimensions ; l’œil brun était inquiet ; le nez un peu cassé, comme par une chute, donnait du pittoresque à la figure ; la bouche un peu pincée, malgré l’épaisseur de la lèvre inférieure, dénonçait des appétits d’amour-propre. Toute cette tête était jeune et avait pourtant une gravité qui n’était pas de son âge. Je comprenais après cela l’ambition de la barbe.
Jules Claretie avait débuté dans un petit journal, — un Diogène quelconque, — dont la caisse payait peu et mal, et que, finalement, il ne nourrissait pas moins de copie presque à lui seul. Sa situation lui permettait d’être plus coulant que d’autres, Ce n’était pas le patient et le martyr des premières années de journalisme, écrivant ses articles où il peut et ayant besoin de les bien placer pour avoir une fois par hasard « bon souper, bon gîte… » — Ne parlons pas du reste. Il vivait, soigné et choyé, dans le confort de la famille et avait son cabinet de travail comme un homme de lettres arrivé.
— Où habitez-vous ? lui demandais-je, un jour que j’ignorais encore tous ces détails
— Rue Paradis-Poissonnière.
— Bah !
— Mon adresse, — reprit-il, produit le même étonnement chez tous mes confrères. Une rue de commerçants ! C’est si drôle pour un journaliste ! Et pourtant je suis obligé de l’habiter.
Le père de Claretie70 était, en effet, et doit être encore un des grands négociants en porcelaines de la rue Paradis. Je ne peux résister, — et les intéressés me le pardonneront, — à l’envie de citer un mot très-amusant de Barbey d’Aurevilly.
— II paraît, — disait-il à quelqu’un, — que ce jeune Claretie est riche ?
— Ou il le sera. Son père est un gros négociant en porcelaines.
— Et en porcelaine, on vend bien des choses…
— Même des pots de chambre, — ajouta l’autre en riant.
— Vous m’en direz tant ! répliqua Barbey d’un ton solennel. C’est qu’il y a beaucoup de… derrières !
Jules Claretie n’avait pas dans les échos du Figaro la main nette et nerveuse d’Aurélien Scholl. Il manquait parfois de précision et plus souvent encore d’acuité. Mais il avait une abondance qui ne laissait jamais craindre de manquer de copie, et une régularité d’élève consciencieux qui fait la joie des rédacteurs en chef comme des professeurs. Il a continué d’écrire ainsi, de flot et rapidement, ne se relisant guère ou pas. C’est sa faute capitale dans ses volumes, dans ses feuilletons, dans ses essais de théâtre, dans cette œuvre de jeune homme pressé qui remplirait déjà un large rayon de bibliothèque et où, avec plus de sens critique pour lui-même, il aurait beaucoup refait et autant retranché. Mais comment en trouver le temps quand il faut se diviser entre l’Opinion, l’Indépendance belge, 1’Illustration, — j’en oublie évidemment, — et les publications de librairie, — l’Histoire de la Révolution de 1870 et le reste. Claretie écrit trop et ne pense pas assez. Le style s’en ressent. Il ne reprend pas haleine une minute et souffle impitoyablement, comme s’il avait peur d’en perdre l’embouchure, dans un instrument qu’il aurait pu perfectionner.
Les railleurs l’appellent Jules Clarinette. N’est pas encore clarinette qui veut. Mais la meilleure preuve de sympathie qu’on puisse donner à ce journaliste, qui semble condamné parmi les siens à l’horripilant cliché de « notre sympathique confrère », est de ne pas lui mâcher la vérité. Ce n’est pas la rancune qui saurait dicter une accusation contre Claretie. Il n’a jamais été jaloux. Loin de là, — je l’ai vu arriver, la main tendue, à un de ses collaborateurs pour lui dire avec l’accent inimitable de la vraie sincérité :
— Mon cher ami, je vous fais tous mes compliments de votre dernière fantaisie. Je voudrais avoir écrit cet article-là.
Dans le monde du journalisme, on compte les compliments de ce genre, — quand ils ne sont pas intéressés.
Je n’ai connu à Claretie qu’une pointe d’envie d’un instant, — et bien innocente. J’arrivais de la campagne, — assez loin des bruits de Paris, quand je le trouvai seul avec Alphonse Duchesne71 dans cette boîte vitrée qui était le bureau de corrections du Figaro, à l’ancienne imprimerie Kugelmann72.
— C’est une chance et une jolie chance ! disait Claretie. On ne débute guère par un duel comme celui-ci.
— Qui donc se bat, — demandai-je, — et a tant de chance de se battre ?
— Rochefort73, parbleu !
— Et avec qui ?
— Avec le prince Achille Murat74.
Je ne sais au juste quelle impression se trahit à mon air.
— Vous riez de tout, vous ! — reprit Claretie. Vous n’appelez pas ça de la veine pour Rochefort ? Eh bien, moi, j’avoue que je voudrais être à sa place.
Le fait est que, de ce jour, Rochefort était lancé, — politiquement.
Annexe IV
Le préfet Pastoureau
Texte de Jules Claretie signé Candide, paru dans Le Figaro du 19 juillet 1868.
À cette époque, tous les mardis, Albert Wolf signait, sous le titre « Gazette de Paris », les trois ou quatre colonnes de une du Figaro. En même temps, dans le même Figaro, Candide, tous les dimanches, signait la chronique « Courrier de Paris »75.
Cette chronique du 19 juillet remplit les quatre premières colonnes de une, moins le feuilleton de bas de page.

La une du Figaro du 19 juillet 1868. Plus bas sur cette page de une, non reproduit ici, le feuilleton de Gontran Boris « Le Cousin du Diable ».
Laissons passer les deux premières colonnes — agréables à lire comme tout texte de Jules Claretie mais hors-sujet ici. Puis :
Le discours du préfet d’Indre-et-Loire aux pompiers de Loches est un des monuments de ce temps-ci. On nous en a cité la meilleure partie. L’art oratoire ne compte pas de plus belle inspiration. Mirabeau, Vergniaud, le général Thiers et le général Foy sont dépassés. L’élan de M. Pastoureau est le toast modèle dans toute sa majesté.
Quel spectacle devait présenter cette scène émouvante : le préfet entouré des pompiers aux casques jaunes et luisants ! Voyez ! quelques-uns de ces pacifiques guerriers ont laissé là leurs coiffures, et l’on aperçoit les raies de leurs cheveux ou leurs crânes chauves ; d’autres affermissent sur leur front cet emblème de leur pouvoir et le portent galamment sur l’oreille. Les uns s’essuient les yeux parce qu’ils sont émus, les autre s’essuient le cou parce qu’ils ont chaud.
Mais voici le préfet qui se lève.
M. le préfet vient de Tours. M. le préfet tient à remercier de leur accueil enthousiaste les pompiers de Loches :
— Mes amis, s’écrie le préfet, vous aimez tous l’Empereur, n’est-ce pas ?… L’Empereur, c’est le père des pompiers !
Et, dans un élan de filiale affection, le préfet reprit :
— C’est le père de tous les pompiers !
⁂
Il faut que les pompiers aient vraiment une grande influence pour que les préfets les rangent ainsi, d’un mot, pour les amadouer, parmi les membres de la famille impériale. Le préfet de l’Eure, lui aussi, caressait jadis délicatement le casque imposant des pompiers. Aussi M. Janvier76 est-il demeuré populaire à Évreux, et, dans tout le département, vend-on, à l’heure qu’il est, les portraits-cartes qui le représentent sous tous ses costumes : en habit noir (simple particulier), en uniforme (avec attributs préfectoraux). À cette heure, M. Janvier en redingote et M. Janvier en habit brodé orne doublement les chaumières des environs de Louviers. C’est le Petit Caporal du pays. On se montre avec attendrissement la photographie du bel uniforme qu’il portait au concours régional qui a si fort illustré et endetté la ville d’Evreux, et, la nuit, la musique des pompiers se relève pour exécuter des fanfares de deuil devant ces images proscrites.
On se dit : Patience ! il reviendra ! il n’est pas mort ! il est à Nantes, là-bas, surveillé par Hudson Lowe77 ! Mais nous le verrons tantôt réapparaître dans toute sa gloire et dans un uniforme de député qui vaudra bien son bel uniforme de préfet !
Puis, à demi-consolés, les pompiers s’essuient les yeux, et répètent :
Il reviendra le préfet des pompiers d’Evreux ! Il reverra sa Normandie ! C’est le pays qui lui a fait sa réputation !
⁂
M. Pastoureau, qui dit de si jolies choses aux pompiers, est cependant beaucoup moins aimé en Touraine que M. Janvier en Normandie. C’est un homme jovial, M. le préfet de Tours, et son discours le prouve, mais il a parfois ses heures sérieuses. Il n’est pas toujours aussi amusant. Cette mémorable parole : « L’Empereur est le père de tous les pompiers, » lui sera certainement comptée. Mais il a aussi quelques autres faits d’armes dans son bagage. Il parle comme Joseph Prudhomme78 ; mais, soyez sans crainte, il a su aux heures néfastes se montrer plus énergique que lui.
Ce que je vais conter est de l’histoire. Je n’invente rien : l’anecdote se trouve tout au long dans un livre imprimé à Versailles et parfaitement autorisé, sinon estampillé, — la Province en décembre 1851(79) par M. Eugène Ténot.
Vous pouvez lire sans danger.
En décembre 1851, M. Pastoureau, aujourd’hui préfet d’Indre-et-Loire, était préfet du département du Var. Il venait justement d’arriver à son poste et trouvait le pays en feu. Les insurgés nombreux, organisés, formaient-là une véritable armée. Il fallait à tout prix les vaincre. Quand on les faisait prisonniers, on leur mettait une chaîne au cou, et on les traînait jusqu’à la ville. Assez souvent on les fusillait.
Dans la matinée du 10, à une lieue d’Aups la cavalerie d’avant-garde arrêta sur la lisière d’un bois un paysan dont les allures parurent suspectes. On le mena devant le préfet. C’était un cultivateur du bourg de Barjots, un nommé Martin, dit Bidauré. Le préfet le fait fouiller, on trouve sur lui une dépêche, un ordre d’un chef d’insurgés à un autre chef.
— C’est bien, dit le préfet, qu’on le fusille.
L’ordre du ministre de la guerre était formel, dit M. Ténot : Fusiller tout individu pris les armes à la main.
On place Martin contre un mur, on lui tire les coups de fusil réglementaires, il tombe et on le laisse pour mort.
Il n’était pas mort. Les balles avaient labouré son crâne, percé sa poitrine ; mais, revenu à lui, il eut encore la force de se traîner, sur la terre gercée, jusqu’au château de la Baume, tout près de là. Il frappe à la porte, il appelle, on le recueille et on le soigne. Mais, le soir, le fermier du château apprend avec effarement que les insurgés, battus à Aups, sont traqués comme bêtes fauves. La peur le saisit, il court chez le maire :
— Monsieur le maire, il y a un insurgé blessé au château.
Un insurgé ! dites un monstre. Le maire écrit au préfet. M. Pastoureau apprend que l’homme qu’il a fait fusiller, est vivant comme par miracle (la mort n’a pas faim, disent les paysans.) Que pensez-vous que fit le préfet ? Il fit arrêter, le vendredi 12 décembre, Martin Bidauré au château de la Baume ; on conduisit le pauvre diable tout sanglant à l’hôpital d’Aups. À l’hôpital ! et le dimanche, 14, au matin, le blessé, le fusillé, l’épargné de la mort, après s’être confessé au curé de Vérignon, fut exécuté une seconde fois.
Il mourut bravement.
Et voilà pourquoi je n’ai pas trop ri en lisant le discours de M. Pastoureau, cet homme gai qui s’est montré moins généreux que le destin.
Candide
Trente-huit jours plus tard, le 26 août suivant, Hippolyte de Villemessant, directeur du Figaro et Jules Claretie se trouvaient condamnés devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine à une amende de mille francs chacun plus 300 francs pour Dubuisson, l’imprimeur.
On peut lire le compte rendu détaillé du procès en pages une et deux du Figaro du lendemain 27 août. Dans ce compte rendu, Le Figaro donne tous les éléments, dont le texte incriminé et les plaidoiries des avocats. Cela a déplu, comme si un procès n’était pas public. Or une loi, à l’époque, interdisait les comptes rendus des procès en diffamation. Cela donnera quatre colonnes entières dans Le Figaro du treize septembre.
Notes
1 Charles-Hubert Millevoye (1782-1816).
2 Alexandre Guiraud (1788-1847), auteur dramatique et romancier. Ce natif de l’Aude est surtout connu comme poète par ses Élégies savoyardes particulièrement académiques, « dédiées à Madame la comtesse Baragauey-d’Hilliers et vendues au profit de l’association en faveur des petits savoyards », ainsi que le proclame la couverture de l’édition C.-J. Trouvé, imprimeur libraire, en 1823.
3 Jules Noriac (Claude Cayron, 1827-1882) journaliste et homme de théâtre particulièrement actif.
4 Aurélien Scholl (1833-1902), journaliste, romancier et auteur dramatique populaire. Les chroniques d’Aurélien Scholl étaient particulièrement mordantes.
5 Charles de Courcy (1834-1917), auteur dramatique et journaliste.
6 Jules Noriac, Le 101e régiment, édité par la Librairie nouvelle du quinze boulevard des Italiens en 1859.
7 Cette adresse n’est la bonne qu’à partir du numéro du vingt octobre 1860. Les huit mois précédents, l’adresse de l’hebdomadaire était au 18 rue Le Peletier.
8 Ces affaires de Diogène sont un peu compliquées. Elles font l’objet de la note 47 de la biographie de Jules Claretie par Georges Grappe. Henri d’Alméras étant davantage précis il engage à aller plus loin. Dans la note indiquée ci-dessus il est établi qu’il y a eu quatre Diogène successifs en vingt ans. Restons sur les deux premiers, qui sont liés, comme nous l’allons voir.

Les quatre Diogène, de 1856 à 1876
Dans sa thèse d’histoire de l’art soutenue à la rentrée 2015 : La Presse satirique illustrée française et la colonisation (1829-1990), Sofiane Taouchichet écrit que le premier Diogène, paru en mars 1856, a fusionné avec Le Triboulet avant de disparaître en mai 1857. Sofiane Taouchichet écrit ensuite que « Eugène Varner relance le projet, en réimprimant au passage des planches antérieurement publiées. » On peut observer qu’Eugène Varner a aussi repris la graphie du titre. C’est ce deuxième Diogène, paru du dix mars 1860 au 17 décembre 1863 (207 numéros) auquel Jules Claretie a collaboré.
9 L’avocat Fernand Samuel (Adolphe-Amédée Louveau, 1862-1914), a été directeur du théâtre de la Renaissance puis du théâtre des Variétés de 1892 à sa mort en 1914.
10 Paul Mahalin (1828-1899), journaliste, auteur dramatique et romancier publié sous divers pseudonymes.
11 Jules Lermina (1839-1915), journaliste et romancier
12 Koning (Victor Koning, 1842-1894, à 52 ans), auteur dramatique, directeur du théâtre de la Gaîté puis de la Renaissance.
13 Diogène du 23 juin 1861, page trois. Le Fauteuil de Racine n’est pas signé Jules de Lussan mais Jules Claretie. C’est le poème de la colonne précédente, La Moissonneuse (vieille chanson), qui est signé Jules de Lussan. Ces deux textes sont reproduits infra en annexe I et annexe II.
14 Jules Michelet (1798-1874) est mort alors que Jules Claretie avait 34 ans. Jules Michelet est souvent considéré comme le plus important historien de son siècle. La rédaction de sa gigantesque Histoire de France, en seize volumes, à laquelle il sera plusieurs fois fait référence ici, l’occupera trente années. Le Tome II traite des années 1000 à 1270. Georges Grappe se réfère au début du Livre III : « Tableau de la France ».
15 Edgar Quinet (1803-1875), historien et homme de lettres.
16 Théophile Gautier (1811-1872), poète romantique, romancier et critique d’art. On se souvient notamment de Mademoiselle de Maupin paru chez Eugène Randuel, l’éditeur des romantiques et du Capitaine Fracasse (Charpentier 1863) et aussi de son recueil de poésies Émaux et Camées (Didier, 1852).
17 Jules Janin (1804-1874), romancier et critique dramatique, notamment au Journal des débats où il est demeuré quarante ans. Jules Janin a été élu à l’Académie française en avril 1870 au fauteuil de Sainte-Beuve.
18 Fils d’un tonnelier et d’une cuisinière, Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) doit interrompre des études avant le bac à cause de la faillite de son père et devient ouvrier typographe, puis correcteur d’imprimerie. Il se cultive alors très intensément. Confrontant ses lectures à ses origines il finit par établir que « La propriété c’est le vol » et sera défini comme l’un des précurseurs de l’anarchisme.
19 Il n’est pas certain que cette revue ait à voir avec l’évolution de l’enseignement « post-élémentaire » à partir des années 1830. On se souvient que Paul Léautaud s’était un temps occupé, quarante ans plus tard, de l’administration d’une « Université populaire ». Plusieurs revues s’étaient lancées dans le filon de la « soif de connaissance » à laquelle l’école publique répondait mal.
20 Lamennais (Félicité de La Mennais, 1782-1854), ecclésiastique de gauche, a tenté de rapprocher l’église de la science, ce qui est rarement bien vu de la hiérarchie, qui a tout à y perdre.
21 Théodore Six (1812-1888), ouvrier tapissier, ancien de la révolution de 1848, aussi fondateur des Annales du Travail, « journal ouvrier, politique et littéraire ».
22 Pierre Vinçard (1820-1893), journaliste. Lire l’article d’Édouard Siebecker en pages quatre et cinq du Figaro du cinq mars 1863.
23 Évariste Thévenin (1824-1885), journaliste et économiste.
24 Alfred Assolant (1827-1886), romancier populaire et pour la jeunesse. Un voyage aux États-Unis dans sa jeunesse a été une grande source d’inspiration. Alfred Assolant est encore connu de nos jours comme l’auteur des Aventures (merveilleuses mais authentiques) du capitaine Corcoran (dont l’action se déroule en Inde), paru chez Hachette en 1867.
25 Pierre Lachambeaudie (1806-1872).
26 Lamennais (note 20), Paroles d’un croyant, Eugène Renduel 1834, 237 pages.
27 Jules Claretie ne l’a jamais trop montré — et l’on doit lui en être reconnaissant — mais il était assez cagot.
28 Henri Gourdon de Genouillac (Henri Gourdon, 1826-1898), historien, héraldiste et journaliste.
29 Charles Monselet (1825-1888), homme de lettres éclectique, biographe et gastronome.
30 Corrigé de « Les Ornières de Paris » « Jules Claretie, Les Ornières de la vie, dédié « À ma mère », Achille Faure 1864, illustrations, 267 pages. La table des matières indique les six nouvelles : Armand Richard, Le Capitaine Ploël, Le Mariage de Claude, Une méprise, Olivier et Hélas !. Tous les livres cités ici ont évidemment déjà fait l’objet d’une note dans la biographie de Jules Claretie par Georges Grappe publiée ici antérieurement. Ces notes sont reproduites ici pour la commodité du lecteur.
31 Jules Claretie, Le Dernier baiser, Ferdinand Sartorius 1864, gravure en frontispice, 188 pages.
32 Marc Fournier (1815-1879), d’abord journaliste, devient directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin à l’été 1851 et le conduira à la faillite.
33 Louis Dumaine (Louis François Person, 1831-1893), a d’abord été secrétaire d’Alexandre Dumas père avant d’être un comédien tonitruant. Il est le frère cadet de la Comédienne Béatrix Person (1828-1884), réputée maîtresse d’Alexandre Dumas père.
34 Le théâtre de la Porte-Saint-Martin a été incendié le 25 mai 1871, pendant la Commune, et a été reconstruit au même emplacement pour ouvrir ses portes le 28 septembre 1873.
35 La Revue anecdotique des lettres et des arts, bimensuelle, parue le premier avril 1855, est rapidement devenue, au milieu de l’année suivante, la Revue anecdotique des excentricités contemporaines ; et a perduré jusqu’en 1862.
36 Élisa Mercœur (1809-1835, à 26 ans), enfant trouvée, poète. En complément de la biographie d’Élisa Mercœur par Jules Claretie indiquée dans la note 38 ci-après, voir aussi Paul Caillaud, « La Vie inquiète d’Élisa Mercœur », Annales de Bretagne, janvier 1952, pages 28-38.
37 Alphonse Rabbe (1784-1829, à 45 ans), journaliste et poète romantique.
38 Jules Claretie : Élisa Mercoeur (le œ n’est pas marqué sur la couverture mais l’est dans le corps du texte, vraisemblablement parce que le typographe ne disposait pas de ce caractère en grande taille), Hippolyte de La Morvandais, Georges Farcy, Charles Dovalle, Alphonse Rabbe, seize portraits, Librairie de Madame Bachelin Deflorenne, 1864, 114 pages.
39 Jules Claretie, Pétrus Borel Le Lycanthrope, Sa vie — ses écrits — sa correspondance — poésies et documents inédits. Frontispice à l’eau-forte avec portrait de [Émile] Ulm, chez René Pincebourde, éditeur — à la librairie Richelieu, 78 rue Richelieu, 1865. Pétrus Borel (1809-1859, à cinquante ans), poète compliqué. Un lycanthrope est un loup-garou.
40 De nos jours, et depuis 1881, rue de Paradis. Le numéro huit, subsistant encore de nos jours, est un petit immeuble quelconque, cinq fenêtres, que seuls les ravalements successifs parviennent à maintenir debout. Deux petites boutiques au rez-de-chaussée. Le quartier de la rue de Paradis était et est encore le quartier des porcelainiers et faïenciers. Par extension on y trouve encore aujourd’hui plusieurs boutiques de vaissellerie.
41 Maxime Rude, Confidences d’un journaliste, librairie André Sagnier, neuf rue Vivienne, 1876. Les cinq pages de ce livre — le début du chapitre III — concernant Jules Claretie sont reproduites infra en annexe III.
42 L’Avenir national, quotidien républicain d’Alphonse Peyrat (1812-1890) paru du dix janvier 1865 à mai 1871.
43 Allusion au fait qu’un nombre important d’auteurs ont utilisé comme pseudonyme non le nom d’un satellite d’Uranus (découvert bien trop récemment) mais celui du personnage antipathique de La Tempête, de Shakespeare. Le plus connu des utilisateurs de ce pseudonyme — et sans doute celui auquel pense Jules Claretie — est le poète et auteur dramatique Émile Bergerat (1845-1923) dans ses articles du Figaro.
44 Daniel Pastoureau (1815-1874), préfet de l’Isère a été nommé préfet d’Indre-et-Loire en avril 1868.
45 D’autant que cet article est paru sur les quatre premières colonnes de une. Comme pour ses Vie à Paris, Jules Claretie traite de plusieurs sujets ; celui qui nous intéresse est le dernier mais prend à lui seul deux colonnes sur quatre. Ces deux dernières colonnes sont reproduites en annexe IV.
46 Eugène Ténot, Paris en décembre 1851, étude historique sur le coup d’État, Armand Le Chevallier, 61 rue Richelieu, 1858.
47 Alphonse Baudin (1811-1851), médecin et chirurgien militaire puis médecin de ville, avait été élu député de l’Ain le treize mai 1849. Alphonse Baudin a été tué le trois décembre 1851 sur une barricade, revêtu d’une écharpe tricolore alors qu’il s’opposait au coup d’état de la veille par Louis-Napoléon Bonaparte qui a conduit au second empire. La mort d’Alphonse Baudin causa un grand émoi malgré les manœuvres impériales pour la dissimuler. Léon Gambetta écrivit un plaidoyer publié chez Boulanger dans la très populaire collection « Le Livre pour tous » (32 pages).
48 Alexandre Glais-Bizoin (1800-1877), avocat, s’est rapidement tourné vers la politique et a été élu député à neuf reprises entre 1831 et 1870. Très actif dans les affaires postales, La Poste lui a rendu hommage avec un timbre à son effigie émis en 2014.

49 Eugène Pelletan (1813-1884), comme Alphonse Boudin (et une grande partie des Français) a été violemment choqué par le coup d’état du deux décembre qui l’a fait entrer en politique. Il sera ministre, député et sénateur. Les Pelletan sont une dynastie politique, et l’on ne confondra pas Eugène Pelletan avec son père Achille, maire de Royan ni avec son fils Camille (1846-1915), lui aussi ministre, député et sénateur.
50 La Tribune française, politique et littéraire, hebdomadaire paru de juin 1868 à 1870 sous la direction du critique d’art Théodore Duret (1838-1927). De nombreux journaux ont porté ce titre, et de nos jours encore.
51 Jules Claretie, Les Derniers Montagnards, histoire de l’insurrection de prairial an III (1795), Librairie internationale, 1867, réédition en fascicules chez Polo en 1874.
52 Le Messager de l’Europe, fondé en 1802 par N. Karamzine est paru en français à Saint-Pétersbourg jusqu’en 1830 pour reprendre de 1866 à 1918.
53 Afin de pouvoir comparer commodément ces deux textes il faudrait avoir le second sous les yeux. On peut imaginer que le paragraphe a sauté.
54 Jean Racine, mort le 22 avril 1699 a été remplacé une semaine plus tard au fauteuil treize par son ami Jean-Baptiste de Valincour, qui a été reçu le 27 juin.
55 Le royaume d’Italie, rassemblant les diverses provinces, avait été proclamé le 17 mars dans la douleur et tous les journaux du monde en ont largement fait écho. Mais voilà, comme nous le dit Jules Claretie nous sommes le dix juin et il est aventureux de penser qu’il y a 160 ans les nouvelles allaient moins vite que de nos jours. L’austère quotidien L’Opinion nationale relègue donc les trainées de cette affaire au bas de la cinquième colonne de une, après la crise américaine (du commerce). On peut aussi noter que le bas de cette une est réservé, comme tous les lundis, à la chronique théâtrale de Francisque Sarcey, qui y traite de deux pièces de Corneille.
56 Jean Racine, Poésies posthumes, I. Le Paysage de Port-Royal, Ode IV De l’étang (Pléiade de Raymond Picard 1950, pages 1012-1013) : « Quelles richesses admirables / N’ont point ces nageurs marquetés, / Ces poissons aux dos argentés, / Sur leurs écailles agréables ! / Ici je les vois s’assembler, / Se mêler et se démêler / Dans leur couche profonde ; / Là, je les vois (Dieu ! quels attraits !) / Se promenant dans l’onde, / Se promener dans les forêts. »
57 « quatrième » étant écrit en toutes lettres, il est difficile d’imputer la distraction au typographe. Jean-Racine était bien titulaire du treizième fauteuil. Jules Claretie va d’ailleurs, ci-après, dérouler la liste de tous les titulaires de ce fauteuil treize. Il ignore évidemment qu’il sera élu à l’Académie française (au fauteuil 35) au début de l’année 1888.
58 Corrigé de « Le Vager ». Jules Claretie oubliera, dans sa liste, le nom de Jean-Baptiste de Valincour, successeur de Jean Racine.
59 Le fauteuil voisin du treizième est soit le douzième soit le quatorzième, encore que ce ne soit pas certain. Tout dépend en effet de la salle où se trouvent ces fauteuils. L’immense salle sous la coupole comprend environ 90 fauteuils verts en deux quarts de cercle. C’est trop et de toute façon ils ne sont pas numérotés. L’institut de France, qui abrite, outre l’Académie française, quatre autres instituts, dispose de deux salles des séances, une grande et une petite, qui ne sont meublées que de chaises. Chaque académie a son jour (le jeudi pour l’Académie française). Il est vraisemblable que ces numéros de fauteuils ne soient que virtuels et ne correspondent à aucun mobilier. Le fauteuil quatorze a accueilli Pierre (et aussi Thomas) Corneille et Victor Hugo.
60 Corrigé de « la Fage ». Jean-François Leriget de La Faye (1674-1731). Sa notice de l’Académie française indique qu’il a fréquenté des cafés.
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62 Jules Michelet, L’Insecte : L’infini vivant, Hachette 1857. Nombreuses rééditions.
63 Merlin l’enchanteur, Michel Lévy 1860, deux forts volumes.
64 Ahasverus est une sorte épopée dramatique en prose publiée en 1833. Cette œuvre parfaitement d’époque autant que parfaitement illisible de nos jours hors les patronages intégristes, a été considérée par plusieurs exégètes morts depuis longtemps, comme le premier ouvrage important d’Edgar Quinet.
65 En italique dans le texte.
66 Petit fleuve grec (80 kilomètres) ayant pris le nom d’un dieu local et passant à Sparte.
67 Alphonse Karr (1808-1890), journaliste et romancier prolifique.
68 Camille Doucet (1812-1895), directeur de l’administration des théâtres en 1863, sera élu à l’Académie française en 1865 au fauteuil d’Alfred de Vigny. Cette élection a été gagnée grâce aux voix des cléricaux qui ont voulu écarter Jules Janin qui se présentait contre lui. Jules Janin sera finalement élu en 1870.
69 Comme Saintené, ce de Corné semble bien un nom inventé.
70 Jean Claretie (1816-1897), né à Ratevoul, Saint-Alvère en Dordogne s’est installé à Paris avec son épouse, Marie Aline Gilet (1819-1894), et leurs trois enfants, vers 1851.
71 Alphonse Duchesne (1825-1870), secrétaire au Figaro, écrivait dans ce journal sous le pseudonyme d’Addison.
72 Georges Kugelmann (1809–1882), né en Allemagne, est arrivé à Paris dans sa jeunesse et y a été embauché chez Firmin-Didot. Naturalisé Français, il peut créer son entreprise et s’installe au treize rue de la Grange-Batelière. Très vite, son imprimerie reçoit la clientèle des plus grands quotidiens dont celles du Gaulois et du Figaro. Par commodité, les imprimeurs offraient à leur client la disposition d’un bureau sur place pour les corrections sur épreuves, d’où la « boîte vitrée » en question.
73 Henri Rochefort (Henri de Rochefort-Luçay, 1831-1913), journaliste polémiste, auteur dramatique, romancier et aussi député, était spécialiste des duels.
74 Achille Murat (1801-1847), neveu de Napoléon Ier, a blessé Henri Rochefort au cours de ce duel, vraisemblablement en 1868 ou 1869.
75 Un jour, peut-être, claretie.fr rassemblera ici ces articles mais la chose serait plus sûre si quelqu’un pouvait s’en charger.
76 Eugène Janvier de La Motte (1823-1884), a donné toutes les satisfactions pour être demeuré préfet de l’Eure de 1856 à 1868. Bonapartiste acharné, distribuant largement l’argent du département par clientélisme, il l’a enfoncé de dettes. Réfugié en Suisse à l’avènement de la IIIe république, il a été extradé et emprisonné pour faux en écritures publiques et détournements de fonds.
77 Hudson Lowe (1769-1844) militaire britannique, gouverneur de Sainte-Hélène de 1816 à 1821. Chargé de la surveillance de Napoléon Bonaparte, il accomplit sa charge avec la plus grande dureté.
78 Joseph Prudhomme est un personnage grassouillet créé par Henry Monnier, apparaissant dans plusieurs de ses œuvres. Ce personnage de gros bourgeois sot et sentencieux a été de nombreuses fois repris par différents auteurs, de Balzac à Sacha Guitry.
79 Eugène Ténot, La Province en décembre 1851, étude historique, 1865, 360 pages, dont la page 256.
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