Chronique de Paris du 31 janvier 1872, mise en ligne le douze avril 2025. Temps de lecture : quatre minutes.
Le théâtre de l’Ambigu-Comique a déjà été souvent évoqué dans ce jeune site web, accompagné chaque fois d’une note. Il paraît opportun, à l’occasion de ce fragment de chronique réservé à ce théâtre, d’en profiter pour en dresser un rapide état, d’où cette longue présentation, qui évitera de nombreuses notes ultérieures.
Le théâtre de l’Ambigu-Comique, après avoir brûlé en 1827 sur le boulevard du Temple, a été reconstruit sur le boulevard Saint-Martin. Comme son petit frère le théâtre de la Renaissance inauguré cinquante ans plus tard, sa façade ne donnait pas sur le boulevard, mais sur une place en retrait, l’un et l’autre se tournant le dos avec, entre eux, le majestueux théâtre de La Porte-Saint-Martin.

Sur ce plan, les trois théâtres, dans un même pâté de maisons, entre le boulevard Saint-Martin et la rue de Bondy, renommée rue René Boulanger à la Libération.
À gauche, ou à l’ouest si l’on préfère, la Porte Saint-Martin, monument qui a donné son nom au théâtre. C’était une des nombreuses portes de l’enceinte de Charles V (milieu du XIVe siècle). Celle que nous voyons encore aujourd’hui est la quatrième du nom, reconstruite trois-cents ans plus tard, en 1674 et pas au même endroit. Davantage à l’ouest encore on trouverait le théâtre du Gymnase.

Le théâtre de la Renaissance, de nos jours. À gauche, la rue René Boulanger ; dans l’axe : le boulevard Saint-Martin
Plus à droite sur le plan vient le théâtre de la Renaissance, édifié en 1873 et dont l’entrée n’est pas sur le boulevard mais tournée vers la porte Saint-Martin. Seul un mur mitoyen sépare le théâtre de La Renaissance du théâtre de la Porte-Saint-Martin. Les deux théâtres ont leurs sorties donnant sur la rue René Boulanger

Rue René Boulanger, l’arrière des deux théâtres depuis la rue Bouchardon. L’escalier de secours est celui du théâtre de la Renaissance »
Et enfin, à l’autre bout de l’ensemble d’immeubles, l’emplacement du théâtre de l’Ambigu, qui nous occupe ici.

Dans cette peinture de 1840 mal légendée (année de naissance de Jules Claretie), on voit la façade du théâtre de l’Ambigu, neuve encore, éclairée par le soleil du matin et son imposant retour sur le boulevard Saint-Martin. Derrière, cinq ou six immeubles suivis de l’importante toiture du théâtre de la Porte-Saint-Martin et, plus haut encore, le toit de la scène. Puis un immeuble plus petit (le théâtre de La Renaissance ne sera construit que dans trente-trois ans) Ensuite la Porte Saint-Martin, très foncée, puis la porte Saint-Denis, plus claire et plus haute. On se rend bien compte que la perspective n’est pas du tout respectée, la distance entre ces deux portes étant de 230 mètres.

L’iconographie concernant ce théâtre, sans être très riche, est intéressante et variée. Continuant l’ordre chronologique, celle ci-dessus date de 1905, plus de trente ans après le texte de Jules Claretie ci-après, permet de voir les dernières voitures à cheval et la montée des trottoirs suite à la réduction du dénivelé de la chaussée au milieu du XVIIIe siècle, que les chevaux peinaient à monter.

Détruit en 1966 dans l’indifférence d’André Malraux, le théâtre est détruit, laissant place à un des immeubles de bureaux les plus laids de Paris.
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Hier soir, première représentation de Lise Tavernier1 à l’Ambigu. Beaucoup de monde, surtout dans le voisinage du plafond où les titis du quartier forment le long des piliers et des rampes un épais et pittoresque entrelacement. Le silence n’est pas toujours de rigueur : les lazzis jetés soit dans la salle, soit sur la scène, donnent lieu à des cris « À la porte ! » et à des altercations qui coupent parfois les tirades ou les dialogues, et gênent fort les spectateurs convaincus ; mais, que voulez-vous ? l’Ambigu est le conservatoire des vieilles et joyeuses traditions du boulevard du Temple, y compris les peaux d’oranges lancées dans les fauteuils des premières.
Il ne m’appartient ni de raconter, ni d’apprécier la pièce : je dirai seulement que les impressions du public, d’abord très mélangées, ont fini par affecter un caractère assez peu consolant pour l’auteur.
Une observation : la salle de l’Ambigu est faite de sorte que tout ce qui se passe à gauche ou à droite de la scène échappe complètement à une bonne moitié de la salle. On me dira que je suis bien naïf, tous les théâtres du monde étant évidemment affligés du même inconvénient ; je répondrai qu’aucun ne l’est au même degré que l’Ambigu, et j’engage, en conséquence, les dramaturges à poser, autant que possible, leurs personnages au milieu de la scène.
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Jules Claretie connaît bien mieux ce théâtre qu’il le dit ici puisque au moins une de ses pièces y a été créée.

Fin du premier acte de La Famille des Gueux à l’ambigu en février 1869 »
La Famille des Gueux, drame de Jules Claretie et Petrucelli della Gattina, en cinq actes et sept tableaux, représenté au théâtre de l’Ambigu le 26 février 1869 et paru chez, Michel Lévy la même année. Ce drame se déroule au cours de la guerre des Pays-Bas (1572-1574).
Le roman Noël Rambert est d’abord paru en feuilleton dans La Marseillaise sous le titre de Noël Rambert puis sous le titre du Petit Jacques, qu’il a conservé depuis, chez Nelson, le 19 juillet 1870, jour de la déclaration de guerre avant d’être réédité par Dentu peut-être en 1883. Ce roman a été adapté à la scène par William Busnach sans que pratiquement Jules Claretie ne s’en préoccupe et a été donné sur la scène de l’Ambigu-Comique le onze novembre 1881. Il s’agit de l’histoire d’un juge assassin qui interroge un innocent accusé du crime du juge.
Concernant l’histoire de ce théâtre, on lira avec intérêt e travail de Patrick Marsaud : « Vie et mort du théâtre de l’Ambigu » pour Le Journal du village Saint-Martin.
Une note
1 Lise Tavernier, drame en cinq actes d’Alphonse Daudet créé au théâtre de l’Ambigu-Comique, le 29 janvier 1872. Le texte de la pièce est paru la même année chez Édouard Dentu (102 pages). On y apprend que Lise Tavernier est une religieuse défroquée. On pourra lire dans la revue Études littéraires de décembre 1971 l’article d’Yves Avril : « 1972 : centenaire de deux échecs. Lise Tavernier et L’Arlésienne » (douze pages). L’Arlésienne sera créée en octobre de cette même année 1870 au théâtre du Vaudeville. Le texte de la pièce est paru la même année chez Alphonse Lemerre. Dans l’étude d’Yves Avril, aucun de ces théâtres n’est cité.
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