Vie à Paris du 24 février 1880. Page mise en ligne le 24 octobre 2024. Temps de lecture 19 minutes. Les intertitres ont été ajoutés.
Nana chez Madame Adam — Victorien Sardou — La réception académique d’Edme d’Audiffret — Le cinquantenaire d’Hernani — Madame Panckoucke — Ernest Chesneau — Refonte du Codex — Parution des Mémoires de Madame de Rémusat — Attentat au palais d’Hiver — Notes
Nana chez Madame Adam

Couverture de la première édition en Livre de poche de 1967
Nous avons eu trois premières représentations intéressantes cette quinzaine, celle d’un livre, celle d’une comédie, celle d’un discours.
Le livre, les lecteurs du Temps peuvent en pressentir l’intérêt par le fragment qui en a été publié, et je n’ai pas à insister sur la belle et nombreuse compagnie qui inaugurait dans les salons de Mme E. Adam cette tentative de protestation littéraire1.
Je dirai seulement que si cet exemple était suivi, que si plusieurs salons dans Paris trouvaient ce prétexte délicat de convoquer des gens d’opinions diverses pour les mettre d’accord sur ce qui nous divise le moins, c’est-à-dire la poésie, l’œuvre d’apaisement qui est dans le désir de tout le monde et qui n’entre dans le programme de personne serait vite en voie de succès.
Mais il est évident que les naturalistes resteraient en dehors de cette embrassade, à moins d’abdiquer, et ce serait un moyen peut-être de les contraindre à modifier une brutalité de façons qu’ils érigent en système, pour ne pas avouer qu’elle est leur infirmité.
Je n’imagine pas une société, si libérale qu’elle soit et si peu collet monté qu’elle veuille être, qui puisse servir en régal à ses invités une lecture publique de Nana2. Or on en arriverait, peut-être à ne plus avoir la curiosité de rechercher ce qui ne peut se lire tout haut devant des femmes et même devant des hommes si le goût des lectures se répandait.
Victorien Sardou
La pièce de M. Sardou3 est-elle un échec persistant ? L’émotion désagréable des deux premières représentations va-t-elle se modifier ? Ce que je sais, c’est que la location ne chôme pas précisément, et qu’un de mes amis a payé, pour la quatrième représentation, deux fauteuils de second rang, au prix de 120 francs. Les marchands de billets paraissent compter sur le scandale et sur un peu de tumulte, comme ils avaient compté sur l’enthousiasme, et maintiennent, ainsi qu’on le voit, leurs prix à la hausse.
Toutes les fois que M. Sardou fait une pièce, on lit le lendemain des réclamations d’auteurs ou d’éditeurs demandant à constater la priorité de l’idée. Quelquefois même, on va jusqu’au reproche de plagiat.
Cette revendication est presque toujours injuste, dérisoire, et ce serait un travail littéraire fort curieux, fort piquant que de faire l’histoire, des analogies, des rencontres entre auteurs qui n’ont jamais échangé un livre ou une parole.
Il est tout simple que M. Sardou ait pensé à transporter au théâtre la question la plus actuelle, celle qui trouble le plus ce temps-ci ; comme il est tout simple que M. Alexandre Dumas fils l’ait traitée par occasion, et que dix ou quinze autres personnes l’aient traitée dans des romans4.
Le contraire serait plus étonnant.
Seulement, j’avoue que je préfère le sentiment d’Alexandre Dumas fils à celui de Sardou, et qu’il me paraît plus près de la vérité absolue, quand il pose en principe que la femme est toujours de l’opinion politique ou religieuse de celui qu’elle aime. Il n’y a pas deux sources d’amour, et l’on ne peut haïr les idées, d’un être dont on aime l’âme.
Alexandre Dumas raconte ce joli trait :
— Croyez-vous en Dieu ? disait un jour un homme supérieur à la femme dont il se savait profondément aimé.
— Si vous voulez, répondit-elle.
Voilà le fonds de la femme, reprend Alexandre Dumas, et il a raison. M. Sardou a tort.
Mais, pour revenir à cette ridicule question de plagiat, pourquoi ne cherche-t-on pas aussi chicane au spirituel auteur de Daniel Rochat, au sujet d’une phrase presque textuelle de Michelet sur l’ombre du prêtre se profilant dans l’alcôve, que le docteur Bidache prononce avec indignation ? Si cet emprunt est involontaire, il est tout naturel, et si M. Sardou l’a fait volontairement, il a encore raison. Il a bien fait d’emprunter ses arguments aux plus illustres champions des deux partis ; on trouve même qu’il n’a pas fait assez de ces emprunts-là et que son argumentation ressemble un peu trop souvent à celle de M. Saint-Genest5, ce qui n’est pas suffisant.
Ce n’est pas la première fois qu’on traite de l’athéisme au théâtre. Je trouve dans un répertoire dramatique, l’Athée, drame en cinq actes, en vers, d’un M. Fadeville, ancien officier de marine, 1837 (Barba, éditeur) ; l’Athée ou l’Homme entre le vice et la vertu, drame en 4 actes et en vers, par Lombard de Langres6 ; l’Athée foudroyé ou le Nouveau festin de Pierre. Il y en a d’autres encore, sans compter les pièces qui ne portent pas ce titre significatif, mais qui mettent en jeu l’athéisme. Va-t-on accuser M. Sardou d’avoir imité ces gens-là ?
Ce que je remarque dans ces pièces religieuses, c’est qu’elles sont toutes écrites en vers. La langue des dieux servait au jargon du diable.
M. Sardou, dans sa jeunesse, avait fait un drame en vers, destiné à Rachel, qu’il devrait bien réimprimer dans l’édition complète de son théâtre que l’on prépare chez Calmann-Lévy et qui paraîtra bientôt7, avec une longue préface de l’auteur pour s’expliquer avec ses amis et ses ennemis.
Il serait intéressant de juger, sur cette œuvre de folie romantique, par quelle réflexion, par quel effort sur lui-même M. Sardou est arrivé à ce théâtre ingénieux qui n’a plus que des audaces apparentes et qui réserve toujours le triomphe du bon sens terre à terre.
Ce drame était intitulé la Reine Ulfra8. Il paraît qu’il était d’une exubérance folle.
Parmi ses originalités, il faut noter celle-ci :
Les rois y parlaient en vers de douze pieds ; les seigneurs en vers de huit pieds ; quant au peuple, il parlait en vers de cinq ou six pieds.
M. Sardou est assez assuré de sa renommée pour se donner le plaisir, ainsi qu’à nous, de réimprimer cette œuvre de jeunesse. Elle tiendrait avec la Poudre d’Or9 et la Perle Noire10, ses deux seuls romans, une place à part, à côté de son théâtre, et elle le ferait valoir.
Bien certainement, Daniel Rochat prêtera à la parodie et à la caricature. La question religieuse est aujourd’hui au fond de tout : de la science, de la politique, de la littérature et de l’Académie.
Deux chiffonniers sur un tas d’ordures s’interrompent au milieu de leurs fouilles, et l’un dit à l’autre :
— La religion, c’est pas pour nous ; mais il en faut pour le peuple !
C’est ce qu’on pense aussi dans le monde. Seulement, ce qu’on ne saura jamais bien, c’est à quel degré commence et finit le peuple. L’ouvrier parvenu au titre de bourgeois est-il toujours du peuple ? et le bourgeois enrichi en a-t-il encore du sang dans les veines ? À quel moment précis de l’avatar peut-on se débarrasser des idées religieuses ?
Voilà encore un joli sujet de comédie.
⁂
Puisque j’effleure cette grave question, avant de m’en éloigner, je veux faire tout haut cette remarque singulière.
Le conseil municipal de Paris a adopté une proposition qui tend à supprimer l’instruction religieuse dans les écoles de la Ville, au moment juste où l’on crée, où l’on inaugure une chaire de religion au Collège de France.
N’est-ce pas là une antithèse étonnante ?
La réception académique d’Edme d’Audiffret
Le troisième événement littéraire de la quinzaine en aura été le moins bruyant, le moins brillant et le moins littéraire.
On a rappelé, à propos du discours de M. d’Audiffret-Pasquier11, la faute d’orthographe qu’il s’est permise (sans doute pour prouver qu’il était aussi duc que le duc de Richelieu), en mettant deux c au mot académicien12. Cette libéralité a défié M. Wallon, l’auteur de la Vie de Jeanne Darc13, que tout le monde ne connaît pas.
Cet ancien ministre de l’instruction publique, qui fut le père de la République14, un peu comme saint Joseph fut le père de Jésus, voulant s’assurer la voix de M. d’Audiffret-Pasquier, en écrivant à M. Camille Doucet pour annoncer sa candidature, libella ainsi la formule finale :
« Recevez, monsieur le secrétaire perpétuelle, l’assurance, etc. »
Je sais bien que quand on raconte la vie des saintes, on ne saurait mettre trop d’ailes à son style. Mais Alexandre Dumas fils, qui se trouvait là, quand la lettre fut apportée à M. Camille Doucet15, lui dit en riant :
— Bonjour, mademoiselle.
Il est bien entendu que cela n’empêche pas M. Wallon d’avoir des chances.
Le cinquantenaire d’Hernani
Il se prépare une autre solennité littéraire, plus poétique que la lecture d’un poème, plus émouvante que la représentation d’un drame, plus académique, c’est-à-dire plus digne de l’immortalité qu’une réception d’académicien. C’est le cinquantenaire de Hernani et la fête que la presse entière veut donner à Victor Hugo pour son entrée dans sa soixante-dix-neuvième année.
Soyons fiers de cette joie. Depuis le triomphe de Voltaire, il n’y aura pas eu au théâtre et dans le monde des lettres une fête pareille.
C’est à la fois l’apothéose du génie d’un homme et du génie national. Cinquante ans pour une pièce qui reste plus jeune, plus neuve qu’à son début, n’est-ce pas un témoignage considérable et le jugement définitif de la postérité ?
On dit qu’un grand banquet sera offert par la presse de toutes les opinions à Victor Hugo. J’ai cherché dans les journaux de février 1830 les noms des acteurs qui ont interprété cette œuvre, et je ne trouve que deux survivants parmi les interprètes16, M. Geffroy17 et M. Montigny18, le directeur actuel du Gymnase. Le premier jouait le rôle d’un seigneur, le second celui d’un montagnard. J’espère que les organisateurs du banquet songeront à les inviter. Ces vétérans d’une des plus grandes batailles, d’une des plus difficiles victoires de l’école romantique ont leur place marquée en face des héros dont ils ont défendu le drapeau. Ces vieillards doivent être compris dans le toast porté à cet immortel.
Ces jours-ci, à l’Académie, M. Viel-Castel19, dont le nom est un symbole, semblait déplorer la décadence du génie français, et montait, en branlant la tête, au sommet de la plus haute tour de son castel, pour voir la verdure qui verdoie, la poussière qui poudroie, en pleurant ceux qui sont morts et qui ne reviendront plus à la rescousse20.
Qu’il se rassure ; l’horizon est encore empli de lumière, et Victor Hugo l’éclaire toujours, sans défaillance et sans éclipse. Il n’y a pas un poète qui ne reflète un éclair de ce génie poétique.
L’ode n’est plus à la mode. Après vingt ans d’étouffement, l’élégie, qui n’a plus d’ailes, se contente de petites pièces, de petits sonnets, de petits poèmes ; mais si le grand souffle lyrique de Lamartine et de Victor Hugo manque aux poumons de la génération actuelle, il reste à celle-ci, avec les secrets d’un art que Victor Hugo a fixé, ce sentiment à la fois humain et pittoresque qui est l’immuable conquête du romantisme.
On dit que M. Coppée fera réciter par Mlle Sarah Bernardt des vers composés en l’honneur de Victor Hugo21. Ce sera bien ; ce ne sera pas assez. Je voudrais que tous les poètes vaillants, je n’ose dire tous les élèves, car quelques-uns sont en passe de devenir des maîtres, mais tous les admirateurs et les amis de Victor Hugo apportassent leur offrande, leur couronne de rayons à cette solennité.
Entendez-vous Banville, Leconte de Lisle22, Sully Prudhomme23, Jean Aicard24, et tant d’autres que j’oublie !
Je viens de parcourir, ainsi que je l’ai dit plus haut, les journaux du temps, On a beaucoup exagéré la prétendue hostilité de certains critiques. Je constate de la stupeur, plutôt que du dénigrement. Charles Maurice, dans le Courrier des Théâtres, s’écrie, à propos de Hernani : « C’est l’ouvrage d’un brillant écolier, qui, s’il le veut, ne tardera point à passer maître25, et d’un poète comme nous n’en avons pas. » On accordait le talent poétique pour ne pas accorder d’emblée le talent dramatique, mais les réserves n’étaient que des égards pour le passé.
Alexandre Duval publiait une brochure qui est un chef-d’œuvre de prétention pédante et de vanité académique, dans laquelle il proposait naïvement au jeune Victor Hugo sa collaboration, promettant de lui apporter son entente de la scène, et disposé à accepter de lui l’imagination, le coloris, le feu poétique26.
Les journaux racontaient avec une sorte d’effroi que le manuscrit de Hernani avait été vendu quinze mille francs pour trois éditions à deux mille exemplaires ; et les feuilles royalistes, décernant un brevet au jeune poète, annonçaient que S. A. la duchesse de Berri27 avait honoré la quatrième ou cinquième représentation de sa présence.
Je ne sais s’il y aura des Altesses à la représentation du cinquantenaire, mais Sa Majesté tout monde y sera.
Madame Panckoucke
Les classiques ne manquaient pas de parodier Hernani. Bien peu de leurs épigrammes sont restées. Je trouve dans le Courrier des Théâtres quatre vers qui avaient été faits, non pas contre Hernani, mais avec cette brisure exagérée du vers, qu’on prétendait emprunter à la forme de Hernani.
Il s’agissait d’un bal donné par Mme Panckoucke28, et un beau danseur, un académicien, faisait circuler ces quatre vers, que l’on trouvait délicieux, adorables, ailleurs encore que chez les confiseurs :
J’arrive de bonne heure en ce lieu ci29, jeudi
Soir ; et j’y resterai jusques à vendredi
Matin. Ce qui fait voir que j’aime la dame ou que
Je veux faire la cour à Madame Panckoucke30.
On riait de ces quatre vers, comme on a ri dernièrement des combles. C’était aussi idiot, mais plus prétentieux.
Ernest Chesneau
Précisément quand je parle de la fête qui se prépare pour le plus grand de nos poètes, pour le seul survivant de l’époque qu’il a conduite et illustrée, je trouve devant moi un très intéressant volume publié par M. Ernest Chesneau31, à la librairie Charavay et ayant pour titre : Peintres et statuaires romantiques.
Hélas ! de ceux-là aussi nul ne survit.
Paul Huet, le grand paysagiste ; Louis Boulanger, l’ami de Victor ; Auguste Préault, ce génie tourmenté qui tourmentait les mots ; Klagman, le statuaire industriel qui vulgarisait l’art ; Delacroix, enfin, le plus grand peintre de notre temps, d’autres aussi, moins puissants, mais tout aussi fervents, sont morts32 ; mais quel héritage ils ont légué !
Ce volume écrit par un historien et un critique d’art très compétent est précieux pour les documents, autant que pour les jugements qu’il fournit.
J’y trouve, parmi des pensées copiées sur un carnet d’Eugène Delacroix, une définition du génie qui me paraît la meilleure, la plus exacte qu’on ait donnée jamais :
« Ce qui fait les hommes de génie, dit Delacroix, ce ne sont pas les idées neuves ; c’est cette idée qui les possède : que ce qui a été dit ne l’a pas encore été assez33. »
Pour peu qu’on y réfléchisse et qu’on cherche à appliquer cette formule à des génies littéraires, par exemple, on reconnaîtra facilement que les conditions essentielles de leur gloire, de leur action a été de donner une forme sublimé à des lieux communs immortels méconnus ou inconnus.
La gloire n’est que la reconnaissance unanime des gens ordinaires pour leurs idées transfigurées. On ne peut admirer ce qui est excentrique, et le propre du génie est d’être un miroir clair, dans lequel chacun se voit bien.
Refonte du Codex
Je signale aux faiseurs de revues de fin d’année une très intéressante mesure prise par le ministre de l’instruction publique34, mais qui n’en pourrait pas moins fournir matière à de bonnes scènes comiques. Je veux parler de la refonte du Codex35.
Il est bien certain qu’il y a des remèdes qui ne guérissent plus, et qu’on en découvre tous les jours qui promettent de guérir par des mérites opposés aux mérites des remèdes anciens.
Les vieux juleps36 sont démodés ; les tisanes se font avec moins d’herbes ; les emplâtres sont remplacés par des papiers chimiques, et M. de Pourceaugnac37 n’aurait plus à redouter l’artillerie que la thérapeutique moderne a presque enclouée.
À un point de vue moins plaisant et plus scientifique, il sera curieux de constater l’influence que la médecine homéopathique aura pu exercer sur son ennemie. Dans la question des doses, par exemple, il s’est fait une révolution. Les gouttes à prendre ont remplacé les pintes à avaler. La torture des inglutitions énormes est déjà à peu près supprimée. Que de vieux médicaments il faudra consoler dans leur exil !
Parution des Mémoires de Madame de Rémusat
On met en vente demain le troisième et dernier volume des Mémoires de Mme de Rémusat38. Ils s’achèvent trop tôt pour le plaisir et pour l’instruction du public.
Ils s’arrêtent au divorce de Napoléon39 ; mais les détails donnés sur les incidents, sur les crises qui ont précédé cette grande rupture sont du plus vif intérêt.
Ce troisième volume contient une préface de M. Charles de Rémusat. Son fils a voulu faire connaître l’opinion paternelle sur ces souvenirs. Rien ne manque donc à cette œuvre de bonne foi, pas même la respectueuse critique filiale sur certains points.
Attentat au palais d’Hiver
Ce qui m’étonne, le plus dans cet effroyable et mystérieux attentat de Saint-Pétersbourg40, c’est la discrétion à toute épreuve des conjurés. Comment ! ils sont des milliers de conspirateurs ; ils ont des femmes pour complices ; ils ont des officiers supérieurs, ambitieux, avides d’avancement pour chefs ou soldats, et rien ne transpire ! personne ne trahit, ne vend ses frères ! Comment ! la police russe, que l’on vante, dont on fait de loin une sorte d’épouvantail, n’a pas introduit un ou plusieurs de ses agents dans cette foule de mécontents ? À moins qu’elle n’y soit tout entière !
Voilà selon moi un des traits les plus remarquables et les plus effrayants. En France, dans le temps où les conspirations avaient des prétextes, il se serait trouvé vingt mouchards, parmi soixante conspirateurs. Mais ce complot souterrain, invisible qui s’avance comme à un assaut, qui creuse ses mines jusque sous le palais impérial, est un phénomène sans précédent dans l’histoire des peuples.
Je me souviens qu’en 1848, un chef de club, mécontent, avait rassemblé environ 4 000 personnes dans un cirque, et criait, toutes portes ouvertes :
— Citoyens, je vous ai convoqués pour vous proposer de fonder une société secrète !
À la bonne heure, voilà de la franchise ! Aussi quel est le complot populaire qui a jamais réussi en France ?
Le Spectateur
Notes
1 Voir le chapitre « Le bal de Juliette Lambert » de La Vie à Paris du treize janvier 1880.
2 Émile Zola, Nana, Charpentier, février 1880 après une parution en feuilleton dans Le Voltaire en octobre dernier. Ce roman (évidemment naturaliste) a eu un grand succès public. Indépendamment des « poupées Nana » déjà évoquées dans La Vie à Paris du trente décembre 1879, nous avons eu droit à la « Nana-polka » du compositeur Auguste Cœdès (critique musicale du Temps du 23 décembre 1879).
3 Daniel Rochat, comédie en cinq actes de Victorien Sardou créée à la Comédie-Française le seize février. Dans sa « Revue dramatique » de la Revue des deux mondes, Paul Bourget parle d’insuccès. Dans Le Figaro du 21 février, Albert Wolff titre son compte rendu « L’Accusé Sardou ». Le texte de la pièce est paru chez Calmann-Lévy. Victorien Sardou (1831-1908) a été élu à l’Académie française en juin 1877. En 1883, Jules Claretie dressera un portrait de Victorien Sardou qui paraîtra dans le volume II des Portraits contemporains et aussi dans la collection des « Célébrités contemporaines » chez Albert Quantin, qui sera un jour publié ici.
4 Le député anticlérical Daniel Rochat s’est épris d’une protestante. Le mariage civil se tient mais ne sera complet que s’il est suivi d’un mariage religieux. Daniel Rochat le refuse. Les deux nouveaux mariés civilement passent leur nuit de noces chacun chez soi et divorcent le lendemain, le mariage n’étant pas consommé.
5 Emmanuel Bucheron (1834-1902), militaire, journaliste, défenseur de la monarchie et de la religion, écrit de virulents articles dans Le Figaro sous le nom de Saint-Genest. On peut aussi noter que Saint-Genest, dit Genès de Rome, martyr chrétien au IIIe siècle, est le saint-patron des comédiens, fêté le 25 août.
6 Vincent Lombard de Langres (1765-1830) ambassadeur, juge et homme de lettres. L’Athée, ou L’Homme entre le vice et la vertu, drame en quatre actes, a été publié en 1818.
7 Il semble qu’il y ait eu un contretemps, aucun Théâtre complet de Victorien Sardou n’étant paru avant l’édition d’Albin Michel en 1934-1938 (quinze volumes).
8 Dans sa courte biographie de Victorien Sardou évoquée ici note 3 ci-dessus, Jules Claretie écrit : « Puis il abordait un sujet historique et exotique, une tragédie suédoise, la Reine Ulfra, où les vers étaient, par une innovation stupéfiante, proportionnés à l’importance sociale des personnages : la reine parlant en alexandrins, les ministres se contentant de vers de dix pieds et le menu peuple s’exprimant en petits vers coupés. Corneille et Shakespeare se trouvaient étrangement mêlés dans cette Reine Ulfra, ou l’on entendait, à la fois, comme des échos du palais de la vieille Rome et de la terrasse d’Elseneur. »
9 Cette poudre d’or est volée, accompagné d’un double assassinat. Les victimes sont les mineurs, et surtout le caissier, Simon, injustement accusé, et pendu selon la loi du lynchage. Son fils André, médecin venu de France, arrive trop tard, mais le venge. Dans son article « Sardou et la censure, ou le contestataire contesté » Odile Krakovitch nous explique en 2007 que La Poudre d’or, était programmée au théâtre de la Gaîté qui venait, l’année précédente (1862), de quitter le boulevard du Temple pour le square des Arts et métiers où il se trouve encore. La pièce de Victorien Sardou a été peu jouée, voire pas du tout puisqu’interdite par la censure, révoltée par le comportement ignoble de Pougnasse, le personnage principal. Selon Odile Krakovitch le rapport de censure conclut : « Nous pensons que le personnage de Pougnasse est radicalement impossible. Nous pensons que des modifications, des atténuations seraient insuffisantes pour le rendre admissible, parce qu’elles ne pourraient qu’adoucir la teinte du rôle, et que le jeu de l’acteur en ferait infailliblement reparaître la couleur primitive. » L’article d’Odile Krakovitch est paru dans Guy Ducret (dir.) Victorien Sardou, un siècle plus tard, Presses universitaires de Strasbourg 2007 (en ligne).
10 Victorien Sardou, La Perle noire, comédie en trois actes créée au théâtre du Gymnase en 1862. Le texte de la pièce est paru la même année chez Michel Lévy (76 pages). Ce court texte est accompagné des Trois ciseaux, et du Rosier de Schubert, « poésies en prose ».
11 Intéressons-nous d’abord un instant, parce que l’affaire est amusante, au beau-père d’Edme d’Audiffret, Henry Fontenilliat (1793-1864), régent de la Banque de France de 1846 à 1863. Henry Fontenilliat, qui avait deux filles, Camille et Jenny, a offert à chacune d’elles un hôtel particulier sur les Champs-Élysées, ce qui est bien le moins de la part d’un père, nous en ferions tous autant si nous avions des filles. Il s’agissait en fait de deux hôtels jumeaux, séparés par une cour parce qu’on ne va tout de même pas descendre de calèche dans la rue. En 1841, à 18 ans, Camille a épousé Auguste Casimir-Perier (1811-1876), père du futur président de la République. Quatre ans plus tard, Jenny épouse, à vingt ans, celui qui nous intéresse, le futur duc d’Audiffret-Pasquier (1823-1905), Maître des Requêtes au Conseil d’État après 1848, député en 1871, Président du Sénat en 1876, élu à l’Académie française en 1878 sans rien avoir publié, ce qui arrive encore de nos jours. En clair pour ceux qui n’ont pas suivi, Camille a épousé un homme de gauche et Jenny un homme de droite, tous deux forts influents. Les hôtels jumeaux étaient donc séparés par la cour mais aussi par les opinions politiques. L’on raconte alors que cette cour fut souvent traversée par les émissaires de l’un ou l’autre camp pour nombre de tractations intéressées. Les deux hôtels furent détruits en 1898 au profit de l’Élysée Palace dont l’immeuble se trouve encore du 103 au 111 Champs-Élysées.

L’hôtel nord, à l’angle de la rue Galilée (dans l’ombre)
12 Ce discours de remerciement a été prononcé il y a cinq jours.
13 Sic. Il s’agit évidemment d’une coquille typographique. Jeanne d’Arc est citée six fois dans le discours d’Edme d’Audiffret qui, davantage que l’ouvrage d’Henri Wallon, évoque le Second panégyrique de Jeanne d’Arc prononcé en mai 1869 par l’évêque d’Orléans, Félix Dupanloup, auquel il succède au fauteuil 16 et dont il prononce l’éloge. Henri Wallon (1812-1904) normalien, agrégé d’histoire en 1834, docteur ès-lettres en 1837 député du Nord en 1849 puis en 1871 (centre-droit). Son Jeanne d’Arc est paru chez Hachette en 1960 (deux tomes de 333 et 358 pages). Dans ses Portraits contemporains (tome II), Jules Claretie a dressé le portait d’Henri Wallon.
14 Allusion à l’« amendement Wallon » voté le trente janvier 1875 avec une seule voix de majorité : « Le président de la République est élu à la pluralité des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. » Suite au succès de cet amendement, Henri Wallon déclara que son amendement « ne programme pas la République, elle la fait » On aurait apprécié, face à l’importance de l’événement, un verbe moins trivial que « faire ».
15 Camille Doucet (1812-1895), poète et auteur dramatique, directeur général de l’administration des théâtres en 1863. Élu à l’Académie française en 1865, secrétaire perpétuel à partir de 1876.
16 La pièce réclame 19 personnages plus « Conjurés de la ligue sacro-sainte, Allemands et Espagnols Montagnards, seigneurs, soldats, pages, peuple, etc. »
17 Edmond Geffroy (1804-1895), comédien et peintre, pensionnaire à la Comédie-Française en 1829, sociétaire en 1835, doyen en 1863, retraité en 1865. Dans Hernani, Edmond Geffroy a créé les rôles du baron de Hohenbourg, un seigneur allemand et de Garcie Suarez, seigneur espagnol. Montigny tenait les rôles d’un autre seigneur espagnol (ils sont sept) et d’un montagnard.
18 Montigny (Adolphe Lemoine, 1805-1880), directeur du théâtre de la Gaîté du faubourg du Temple en 1838 puis du théâtre du Gymnase de 1844 à sa mort. Lors de la création d’Hernani, Montigny tenait les rôles d’un autre seigneur espagnol (il en reste cinq) et d’un montagnard. Montigny va mourir le six mars, dans onze jours. Dans Le Temps du dix mars paraîtra, page deux, un article non signé de Jules Claretie, qui lui rend hommage. Cet article ne fait pas officiellement partie de la série « La vie à Paris » mais est évidemment reproduit ici.
19 Les Viel-Castel honorés sont nombreux et de plus celui qui nous occupe n’a pas le même prénom sur sa notice de l’Académie française (Charles) et sur les couvertures de ses livres (Louis), parce que c’est comme ça. Il s’agit donc de Charles-Louis-Gaspard-Gabriel de Salviac, baron de Viel-Castel (1800-1887), historien et diplomate, rédacteur à la Revue des deux Mondes, ce qui leur va bien à tous deux. Il est aussi auteur d’une Histoire de la Restauration (Louis) parue chez Michel Lévy de 1860 à 1878 (vingt volumes). En 1882, il publiera chez Charpentier un Essai sur le théâtre espagnol (Louis) en deux volumes. Histoire de compliquer les choses, il existe aussi un Charles de Viel-Castel né en 1822, romancier, auteur du Testament de la danseuse mais il ne semble pas qu’il s’agisse d’un fils.
20 Il y a cinq jours, Charles-Louis de Viel-Castel prononçait le discours de réception du duc d’Audiffret-Pasquier.
21 Ce poème est paru dans une plaquette de seize page, dont sept imprimées, éditée par Alphonse Lemerre cette année 1880. François Coppée n’est pas du tout dans son registre et peine face à Victor Hugo. Les vers sentent bien leur époque : « Hernani ! … Cinquante ans sont passés ; mais ce nom / Résonne dans nos cœurs comme un bruit de canon / Et grise nos cerveaux comme une odeur de poudre ; / Et, quand gronde un écho lointain de cette foudre, / Quiconque a le respect et le culte du Beau / Sent passer sur son front une ombre de drapeau ! » Jules Claretie a dressé un portrait de François Coppée dans la série « Célébrités contemporaines ».

Image extraite de la couverture de l’hebdomadaire Le Monde illustré du six mars 1880, complétée de la Légende : « Le cinquantenaire d’Hernani à la Comédie-Française — Mademoiselle Sarah Bernhardt disant La Bataille d’Hernani par François Coppée devant le buste de Victor Hugo. Dessin d’Adrien Marie »
22 Charles Leconte de Lisle (le prénom est généralement omis, 1818-1894) est unanimement considéré comme le maître des parnassiens, par son ancienneté, d’abord, par son charisme et par le fait qu’il a été le premier à en définir clairement la doctrine et enfin par sa publication de trois volumes de poésies rassemblant une centaine de poètes sous le titre Le Parnasse contemporain chez Alphonse Lemerre entre 1866 et 1876. Cet ouvrage est resté la référence poétique de toute cette fin de siècle. La doctrine parnassienne peut être résumée par un certain retrait, un fort attachement à la forme stricte, un classicisme rigoureux et une référence constante aux mythologies. Charles Leconte de Lisle condamne donc fermement les lamentations débridées et autocentrés des romantiques, et pour tout dire les enterre. Très soutenu par Victor Hugo, Charles Leconte de Lisle a été élu à l’Académie française à la mort de celui-ci (en mai 1885), l’a remplacé au fauteuil quatorze en février 1886 et a prononcé son éloge en mars 1887.
23 Sully Prudhomme (parfois avec un tiret fautif) (René Prudhomme, 1839-1907) sera élu à l’Académie française en décembre 1881. Il sera surtout connu pour être le premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901. Lire la « Chronique » de Jules Claretie dans Le Temps du quatre juin 1879.
24 Jean Aicard (1848-1921) (corrigé de Aycard), poète, romancier et auteur dramatique.

Henri Fantin-Latour, Un coin de table. Ce portrait de groupe de 1872 représente, assis, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan et une combinaison fleurie représentant, dit-on, Albert Mérat qui avait refusé de poser en même temps qu’Arthur Rimbaud. Trois personnages debout : Pierre Elzéar, Émile Blémont et Jean Aicard. Les autres poètes cités par Jules Claretie dans ce paragraphe n’étaient pas disponibles ou refusèrent de poser. Cette peinture est visible au musée d’Orsay
25 N’oublions pas qu’Hernani a été créé le lendemain du vingt-huitième anniversaire de Victor Hugo.
26 De la littérature dramatique : Lettre à M. Victor Hugo, par M. Alexandre Duval, de l’Académie française, Duffey et Vézard, libraires, 17 rue des Marchés-Saint-Germain, 1833, 47 pages. Alexandre Duval (Alexandre-Vincent Pineu, 1767-1842), comédien. Selon sa notice de la Comédie-Française, il y est « entré en 1791, sociétaire en 1799, retraité en 1802. Acteur consciencieux mais sans grand talent, il se révèle surtout comme auteur dramatique. […] Directeur de l’Odéon en 1808, membre de l’Institut en 1812, académicien en 1816, administrateur de la Bibliothèque de l’Arsenal en 1831, Alexandre Duval refusa farouchement l’École romantique, prônant une littérature dramatique de convention. » L’académicien Alexandre Duval refusa de prendre part au vote lors de l’élection de Victor Hugo.
27 Marie de Bourbon (1798-1870) a épousé Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry (1778-1820), fils cadet de Charles X et neveu de Louis XVIII. Charles-Ferdinand d’Artois a été poignardé à sa sortie de l’opéra de la rue Richelieu le treize février 1820 par un Bonapartiste dans le but d’anéantir la dynastie. Mais, fait imprévu par l’assassin, Marie de Bourbon était enceinte d’Henri d’Artois, duc de Bordeaux (29 septembre 1820-1883).
28 Il ne s’agit sans doute pas de Madame Charles Panckoucke, épouse de l’éditeur connu et morte en 1823 mais plus vraisemblablement de sa bru, Ernestine Désormeaux (1784-1860), femme de lettres, peintre et traductrice de l’allemand, épouse en 1808 de Charles Fleury Panckoucke, fils de Charles Panckoucke (1780-1844), lui aussi éditeur.
29 Vraisemblablement le domaine de Fleury-sous-Meudon, acquis en 1818. Une rue Fleury Panckoucke, très calme et très pentue, existe encore de nos jours à Meudon.
30 L’auteur de ces vers semble être, sans certitude, Alfred de Musset.
31 Ernest Chesneau (1833-1890), historien et critique d’art.
32 Tous ces peintres sont abordés par Ernest Chesneau dans l’ouvrage cité.
33 Page 216.
34 Agénor Bardoux (1829-1897), avocat et homme de lettres. Maire de Clermont-Ferrand en 1870-1871, député centre-gauche du Puy-de-Dôme (trois mandats de 1871 à 1881), ministre de l’Instruction publique de décembre 1877 à janvier 1879, sénateur en 1882.
35 Sous ce nom était désigné le recueil officiel de formules de drogues et médicaments autorisés en France.
36 « Préparation pharmaceutique, à base d’eau distillée, d’eau de fleur d’oranger, de sirop, de gomme arabique, etc., servant d’excipient à certaines substances médicamenteuses. » (TLFi)
37 Molière, Monsieur de Pourceaugnac, octobre 1669.
38 Voir La Vie à Paris du treize janvier.
39 La dissolution du mariage (et non le divorce) a été prononcée le quinze décembre 1809.
40 Le 18 février a eu lieu, au palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg une « nouvelle » tentative d’assassinat contre l’empereur de Russie Alexandre III qui a son pont à Paris. L’explosion s’est produite dans la salle des gardes qui se trouvait juste sous la salle à manger de l’empereur, qui aurait dû être à table avec sa famille à cette heure-là. Plusieurs gardes ont été blessés et huit tués. Voir la une du Temps du lendemain 19 février.
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